6 695 429 000 $

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Est-ce que ce chiffre vous donne le tournis? Moi oui. Il s’agit bien de six milliards six cent quatre vint quinze millions quatre cent vingt neuf mille dollars.

Vous avez une idée de ce que c’est? Voici quelques données pour vous aider à mettre la question en perspective? Comparons ce chiffre aux crédits du budget 2018-2019 du gouvernement du Québec 1 Il représente :

  • 24 % du budget total du ministère de la Santé et des Services sociaux consacré aux services dispensés à la population. (27 632 010 500 $);
  • 61 % du budget du ministère de l’Éducation et Enseignement supérieur dédié à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire et secondaire (11 028 410 800 $);
  • 115 % du budget de ce même ministère pour l’enseignement supérieur (5 839 148 000 $);
  • 228 % du budget du ministère du Travail, Emploi et Solidarité sociale pour l’aide aux personnes et aux familles (2 932 998 900 $);
  • 276 % du budget du ministère de la Famille pour les dépenses consacrées aux services de garde (2 423 281 300 $);
  • 65 584 % du budget du ministère de la Famille pour le soutien aux personnes aînées en situation de vulnérabilité (10 209 600 $).

Ces indices vous éclairent? Non? Eh bien, il s’agit du budget de dépenses du premier plan directeur de Transition énergétique Québec (TÉQ). La Régie de l’énergie doit donner son avis, sous peu, quant à la capacité de ce plan à atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixées par le gouvernement du Québec.

Je sais, je sais. Le plan de dépenses de TÉQ porte sur une période de cinq ans alors que la mise en contexte ci-haut porte sur les données budgétaires d’une seule année. Compte tenu des sommes en jeu, on pourra difficilement me traiter de démagogue. Pour les puristes, divisez le tout par cinq, vous serez moins étourdis. Mais mon point restera néanmoins valide.

Un petit peu par ci, un petit peu par là

En matière de transition énergétique, saupoudrer des subventions à droite et à gauche est une bonne façon de faire croire qu’on accompli quelque chose. La technique de la salière qui consiste à donner un petit quelque chose à tout le monde pour faire des petits gestes est une bonne façon d’éloigner la critique. Chacun a son prix. 

Bien sûr il faut s’engager dans la lutte contre les changements climatiques. C’est aussi clair qu’il faut encourager la société québécoise à poser des gestes pour améliorer nos façons de consommer l’énergie. Et je reconnais d’emblée que certains des programmes d’efficacité énergétique proposés dans le plan directeur de TÉQ vont en ce sens. Mais je suis loin d’être convaincu que la plupart mèneront à des résultats probants. Et apparemment je ne suis pas le seul.2

Subventionner à tous vents…et pour longtemps

Au Québec, l’efficacité énergétique relève presque du folklore. Il y a si longtemps qu’on en fait qu’on se demande ce qui peut bien rester à optimiser. Si tous les programmes mis en place depuis 42 ans avaient fonctionné, on n’en parlerait plus. Mais à force de faux fuyants et d’hésitations, on manque d’idées et on est condamné à toujours refaire la même chose. C’est le jour de la marmotte. Il est vrai que depuis le temps qu’on fait du recyclage, aussi bien recycler aussi les programmes d’efficacité énergétique. Ça demande moins d’effort et ça dispense de réfléchir.

Une partie du problème avec cet astronomique plan de dépenses vient de la nature même des mesures et des  «mesurettes» proposées dans la Plan directeur de TÉQ. En suggérant des dépenses de programmes pour les cinq prochaines années, TÉQ propose ni plus ni moins que de rendre permanentes les aides financières du gouvernement pour une multitude de programmes d’efficacité énergétique. Certains sont en place, sous diverses formes, depuis presque 20 ans. Des aides financières de cette nature devraient être temporaires, pas permanentes.

Un rapport accablant

Le 21 novembre 2018, le Conseil de gestion du Fonds vert (CGFV) a présenté un rapport à la ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Ce rapport expose une série de recommandations sur les ajustements budgétaires à apporter au Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques (PACC). Ce rapport porte un jugement très critique sur la manière dont les milliards du Fonds vert sont dépensés.

En matière d’efficacité et d’efficience :

  • Absence de cible déterminée de réduction des GES.
  • Multiplication des mesures visant les mêmes clientèles.
  • Manque de flexibilité dans l’allocation des budgets.
  • Utilisation du Fonds vert pour soutenir des actions déjà financées autrement.
  • Des coûts par tonne de GES réduite entre 200 $ et 1300 $. (NDLR. Lors de la dernière vente aux enchères sur le marché du carbone, une tonne de GES se vendait 20,27$).
  • Évaluation déficiente des programmes.
  • Aucune pérennité pour le fonds puisque les actions sont financées par le biais de subventions ou de crédits d’impôt.
  • Dispersion des programmes et des projets.

En regard de la transparence :

  • Manque de rigueur en matière de reddition de compte.
  • Aucune assurance quant au respect des méthodes de calcul des réductions d’émission de GES.
Des réductions de GES comptabilisées en double ou en triple?

Si on fait une lecture attentive du rapport du CGFV et du plan directeur de TÉQ, on constate que plusieurs mesures et programmes devraient être réévalués ou carrément arrêtés. C’est notamment le cas du crédit d’impôt RénoVert (du ministère des Finances du Québec) et du Programme Chauffez vert (offert par Transition Énergétique Québec). Le CGFV note qu’il y a une possibilité de subventionner deux fois la même rénovation. Mais le CGFV se trompe…

Il y a effectivement un dédoublement de subventions pour la même rénovation. Mais pire, le CGFV aurait également pu noter que ces deux programmes s’ajoutent à d’autres aides financières dans le cadre du programme Rénoclimat de TÉQ. En réalité, la même rénovation peut recevoir trois aides financières différentes, pas deux. C’est le cas notamment pour l’installation d’un système de chauffage électrique (fournaise, thermopompe, géothermie) en remplacement d’un système au mazout ou au propane.

Ce qui laisse également planer un doute quant aux réductions des émissions de GES contenues dans le plan directeur. Pour le programme Chauffez vert, on indique 347 900 tCO2e de réduction. Dans le cas de Rénoclimat, 10 600. Pour le crédit RénoVert, rien du tout. Le plan indique que l’impact sera déterminé par le porteur, dans ce cas-ci, le ministère du Revenu. On peut supposer qu’il y a double et triple comptage des réductions des émissions de GES.

Le cas échéant, il en va de la crédibilité et de la capacité du plan directeur de TÉQ à atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixées par le gouvernement du Québec

En conclusion

6 695 429 000 $. C’est beaucoup, beaucoup d’argent. À la lumière de la très lucide évaluation du PACC par le CGFV, il y aurait peut-être lieu de réévaluer, dès à présent, plusieurs des programmes contenus dans le plan directeur de TÉQ.

Je parie que ça éviterait d’embarrasser le gouvernement quand on en fera une évaluation dans quelques années. Encore faut-il qu’une telle évaluation – neutre et indépendante – soit faite. Me semble qu’en matière de reddition de compte et de transparence, ce ne serait pas une mauvaise chose.

Notes

  1. https://www.tresor.gouv.qc.ca/budget-de-depenses/budget-de-depenses-2018-2019
  2. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/538607/cinq-ans-de-transition-energetique-sans-cible-de-reduction-de-ges

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