J’ai toujours trouvé l’expression « gaz naturel renouvelable » (GNR) passablement confuse. Depuis qu’on en exploite, le gaz naturel, au même titre que le pétrole ou le charbon et toutes autres formes de combustibles fossiles, a toujours été qualifié de non renouvelable. Pendant un temps, j’ai pensé que les chercheurs, par le truchement de manipulations alchimiques, avaient découvert une nouvelle molécule de gaz capable de se renouveler. J’ai fini par comprendre qu’il n’en était rien.
Le pouvoir infini du marketing
Il y a quelques semaines, je suis tombé par hasard sur un publireportage d’une grande institution financière. On expliquait le rendement associé à différentes obligations en fonction du classement des agences de notation. Par exemple, chez Standard & Poor’s, une obligation notée entre BB+ et D est considérée comme une obligation à haut rendement. Une obligation notée AA est considérée, selon le document, comme une obligation à faible risque.
Comme il s’agissait d’une publicité d’une institution financière, le choix des mots est très important. Capital même. De A à D, le qualificatif principal d’une obligation passe de « faible risque » à « haut rendement. » On pourrait tout aussi bien parler de « faible rendement » et de « haut risque » et on parlerait très exactement de la même chose. Les obligations à faible risque ont un faible rendement et les obligations à haut rendement ont un haut risque.
D’un point de vue marketing, c’est sûr que parler de différentes catégories de risque, ce n’est pas vendeur. Parler de différents niveaux de rendement, ce n’est pas gagnant non plus. D’où le mélange des qualificatifs selon les produits à vendre.
Ce n’est pas nécessairement mentir que de ne pas présenter toutes les caractéristiques d’une obligation. Mais ce n’est pas dire toute la vérité non plus.
Charbon propre ou charbon moins sale
Dans les années 1990, pour assurer sa survie, l’industrie du charbon a tenté de se construire une nouvelle image. En mettant à profit certaines avancées technologiques, l’industrie du charbon a inventé l’expression « charbon propre ». À la suite d’efforts soutenus de lobbying, l’expression a été adoptée par les fonctionnaires, les politiciens, les marchés financiers. À l’unisson, tous et toutes parlaient du charbon propre.
Évidemment, un cynique aurait pu contraster l’argumentation en parlant de charbon « moins sale ». Entre nous, du charbon propre, c’est une vue de l’esprit et un pur produit du marketing. Les individus n’ont pas tous la même définition de la propreté ou de la saleté. Chacun a donc retenu ce qu’il voulait retenir et ce qui répondait à ses besoins du moment.
Biogaz, biométhane ou gaz naturel renouvelable?
Il fut un temps où le gaz produit par la transformation de résidus organiques s’appelait simplement biogaz.1 C’était surtout en référence au méthane qui s’échappait des sites d’enfouissement. Les expressions biogaz et biométhane étaient souvent utilisées de manière équivalente. Vint ensuite l’idée de carrément produire du biogaz directement avec nos poubelles, avant que leur contenu ne se retrouve en enfouissement. Un signe indéniable de progrès.
Expliquer comment produire du carburant avec des restants de bouffe, ça peut être complexe. Aussi, et au lieu de prendre son temps pour caractériser la nature du biogaz et l’origine de la matière organique, l’industrie a savamment inventé une nouvelle expression : gaz naturel renouvelable ou GNR. Quand on parle de gaz naturel renouvelable, le marketing de l’industrie nous renvoie à la collecte des bacs bruns. On aurait donc pu choisir l’appellation gaz naturel brun, mais ça aurait été moins vendeur.
Bien sûr, pas besoin d’expliquer davantage puisque nous avons tous et toutes un tel bac à la maison et que nous savons ce que nous y mettons. Même si la publicité nous renvoie à des images de feuilles de laitue un peu flétries et d’épluchures de carottes, nous y mettons bien d’autres choses.
On aura tous compris maintenant que le GNR est produit par le traitement des matières résiduelles, et que, pour l’essentiel, nos bacs bruns vont continuer à contenir de la matière première brune – en quantité renouvelable.
Mais peu importe ces considérations, on parle plus ou moins d’un produit final composé de méthane à presque 100 %. Au pif, aucune différence avec le gaz naturel, qu’il soit de schiste ou conventionnel.
Le paradoxe du GNR
Le paradoxe du GNR, c’est que pour en produire, il faut produire des déchets. Pour produire plus de déchets, il faut consommer davantage. En réalité, il n’y a pas grand-chose de renouvelable dans le GNR si ce n’est notre capacité à remplir nos bacs bruns de manière renouvelable. Bref, ce n’est pas le gaz qui est renouvelable, ce sont plutôt les déchets qui composent sa matière première.
J’entends déjà l’argument voulant que ce que contient le bac brun se retrouve présentement dans des sites d’enfouissement. Que la décomposition de ces déchets produit naturellement du biogaz et que s’il n’est pas récupéré, c’est mauvais pour l’environnement. Tout le monde peut comprendre ça.
Mais il ne faudrait pas non plus tomber dans l’autre extrême et faire croire au monde que le cycle de vie du GNR est d’une propreté exceptionnelle. Et surtout, cesser de faire croire au monde que la production de GNR se limite à la décomposition organique d’une feuille de laitue. Je laisse donc à votre imagination le soin de visualiser à quoi ressemble la matière première du GNR.
Si nos bacs bruns n’étaient pas contaminés avec des restants d’animaux, on parlerait presque de gaz naturel végé, dans ses déclinaisons végétarienne, végane ou végétalienne.
Le GNR et les émissions de GES
Pour faire bonne mesure, il faut tenir compte d’au moins trois sources d’émissions de GES associées au GNR.
La première, c’est toute l’énergie dépensée pour produire et consommer ce qui aboutira éventuellement dans le bac brun. C’est parfois énorme comme émissions de GES. Nous entendons beaucoup parler depuis quelques années du désastre environnemental associé à l’élevage de bovins et autres animaux qui se retrouvent dans nos assiettes. Or, dans nos bacs bruns, on y retrouve des os et des restes de veau, de bœuf, d’agneau, de porc, de poulet et autres animaux transformés. On s’éloigne des épluchures de carottes.
En second lieu, il faut tenir compte des émissions de GES au moment de la production du GNR. Le traitement des matières premières et les procédés employés ne sont pas exempts d’émissions de GES. Comme il s’agit essentiellement d’un produit manufacturé, le risque zéro de fuites ou d’émissions fugitives n’existe pas. Pour diverses raisons, il faut aussi souvent recourir au torchage du GNR.
Troisièmement, il y a les émissions de GES produites lors de la consommation de ce GNR. La combustion du gaz n’étant jamais parfaite, le GNR va produire très exactement les mêmes quantités de GES que le gaz naturel conventionnel ou de schiste.
Objectif 5 %
Le gouvernement du Québec s’est fixé comme objectif que 5 % du gaz naturel qui est présentement distribué dans les réseaux des distributeurs gaziers du Québec soit substitué par du GNR.2 Le GNR fera donc de plus en plus partie du portefeuille d’approvisionnement énergétique du Québec.
Mais tout comme l’hydrogène, le GNR est un vecteur énergétique et non pas une source d’énergie naturelle. Il est le résultat de la transformation manufacturière d’autres produits. Ce qui ne veut pas dire que c’est une mauvaise chose. Tant qu’à produire des déchets, aussi bien les valoriser.
Par contre, à moins de considérer nos déchets comme étant une ressource naturelle renouvelable, il y a beaucoup de dissonance dans l’expression « gaz naturel renouvelable. »
Rien de plus que du méthane, simplement.
Notes
- Pour une discussion plus académique de ces termes dans le contexte du Québec, voir une décision de la Régie de l’énergie : http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/286/DocPrj/R-3909-2014-A-0010-Dec-Dec-2015_02_10.pdf
- http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cr/R-6.01,%20r.%204.3