Le projet de loi 44, Loi visant principalement la gouvernance efficace de la lutte contre les changements climatiques et à favoriser l’électrification, prévoit la disparition de Transition énergétique Québec (TÉQ). Une bonne chose. En confiant au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles la responsabilité de l’élaboration d’un plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétique, le gouvernent remet les choses à leur place.
Une question d’emballage et de contenu
Il est vrai que certains employés de TÉQ ont fait preuve d’une certaine arrogance pendant la courte vie de l’organisme. Ce fut particulièrement le cas devant la Régie de l’énergie, mais en d’autres occasions également. Les enflures de tête de certains ne devraient pas faire ombrage au talent et à la bonne foi des dizaines de spécialistes sectoriels qui font leur gros possible pour livrer les programmes de l’organisme. Et la disparition de TÉQ n’a rien à voir avec leur capacité d’accomplir leurs tâches avec professionnalisme.
Mettons-nous à la place du personnel de TÉQ un instant. Certains ont commencé leur carrière au Bureau des économies d’énergie quelque part entre 1977 et 1992. On les a ensuite transférés à la Direction de l’efficacité énergétique de 1992 à 1997. Ils ont ensuite été mutés à l’Agence de l’efficacité énergétique entre 1997 à 2011. Pour les plus jeunes, ils ont connu le Bureau de l’efficacité et de l’innovation énergétique de 2011 à 2016. Et la plupart ont finalement abouti à Transition énergétique Québec de 2017 à aujourd’hui. C’est beaucoup de changements pour faire essentiellement le même travail.
Le projet de loi 44 prévoit la réintégration de TÉQ et de ses spécialistes au sein du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. On leur souhaite un bon retour à la maison. Maintenant, si on peut arrêter de les « barouetter » de gauche à droite et qu’on les laisse faire leur travail, ce sera une bonne chose pour tout le monde.
Stabilité et transparence
La disparition de TÉQ sera aussi une bonne chose pour la transparence et la reddition de compte. Fini le camouflage derrière des conseils d’administration, les tables de partie prenante et je ne sais quoi encore. Au ministre de rendre compte de la performance ou non de ses programmes.
Il est amusant de voir comment un thème comme l’efficacité énergétique peut commander une si grande inefficacité organisationnelle. Pour une raison qui m’échappe depuis longtemps, nous semblons incapables de trouver la bonne formule pour gérer nos programmes d’efficacité énergétique. Probablement que la réponse tient au fait que ce n’est pas la structure qui compte, mais ceux qui y travaillent.
On a tout essayé. Tantôt un conseil d’administration pseudo indépendant : parfaitement inutile, je le sais, j’ai déjà siégé sur l’un d’eux. La plupart des fonctionnaires n’ont pas besoin d’un conseil d’administration pour se faire dire comment faire leur travail. Ensuite des consultants embauchés pour « repenser » la mécanique de livraison de programmes. Pourquoi pas aussi les incontournables consultations publiques à répétition, très utile pour faire croire qu’un consensus existe. Tant qu’à y être, invitons quelques amis à une table des parties prenantes, qui portait bien son nom d’ailleurs. Pour faire bonne mesure, réembauchons les mêmes consultants pour proposer de défaire ce qu’ils ont suggéré de tricoter quelques années plus tôt. Quelle prodigieuse perte de temps et d’énergie.
Cette recherche du graal organisationnel n’a mené nulle part et ne mènera nulle part. Personne ne va gagner une médaille de l’Assemblée nationale du Québec pour gérer et livrer des programmes d’efficacité énergétique. Qu’on se le dise. À chaque branle-bas de combat, on ne fait que gaspiller des ressources financières. S’en suit forcément un exode de talents et d’expertises. Plusieurs, et à juste titre, se fatiguent de voir leur carrière tourner en rond. Ce qui fait qu’on doit continuellement reconstruire sur un tas de cendres.
L’efficacité exige la prévisibilité
Les interventions publiques en matière d’efficacité énergétique modifient l’équilibre fragile des marchés. Il en va de même pour les interventions des distributeurs d’énergie. Les subventions et les aides financières bouleversent, directement ou indirectement, et sans exception, les façons de faire des agents économiques. Ils ont des impacts parfois insoupçonnés sur les chaînes d’approvisionnement, la fabrication et la mise en marché de produits et services. La chose est très bien documentée partout dans le monde.
Depuis qu’on s’intéresse à l’efficacité énergétique et aux économies d’énergie au Québec, la nature fondamentale des programmes et les objectifs visés n’ont pas vraiment changé. Mais à chaque changement organisationnel, le cycle arrêt-départ paralyse la machine, le temps qu’on s’ajuste aux nouveautés du moment.
Pendant ces temps d’arrêt, les propriétaires de bâtiments, les entreprises manufacturières, les transporteurs, bref, tous ceux et celles qui consomment de l’énergie se questionnent. Plusieurs remettent en question la pertinence de leurs décisions d’affaires. On écoute les rumeurs sur le maintien, l’élimination ou la bonification des programmes. Les investissements sont modulés en fonction de programmes. Une bêtise économique en soi.
Nous connaissons depuis dix ans une croissance économique phénoménale. Ce qui a tendance à nous faire oublier certains principes fondamentaux du capitalisme libéral qui caractérise notre système économique. Dans un tel contexte, l’interférence dans les marchés est peut-être passée inaperçue. Mais la réalité finira par nous rattraper un jour ou l’autre.
Il est malsain pour l’économie de voir des centaines d’entreprises prendre des décisions en fonction de l’aide financière étatique. Ce n’est pas normal que les programmes d’efficacité énergétique modulent les décisions d’affaires. C’est encore moins normal quand les règles du jeu changent constamment. La prévisibilité au sens large est l’un des facteurs clés de la bonne marche de notre économie. Elle est aussi essentielle à la réalisation de projets d’efficacité énergétique.
Le Québec n’est pas la France
Lorsque adopté, le projet de Loi 44 mettra la clé dans la porte de TÉQ. Mais une rumeur veut que le gouvernement songerait à repartir l’organisme sous un autre nom. On se doute bien d’où origine une telle idée. Souhaitons que ce ne soit en effet qu’une rumeur. Une telle chose ne servirait les intérêts que de ceux et celles alimentent cette rumeur. Une très grande prudence est de mise.
Si différents modèles de gestion de l’efficacité énergétique existent et fonctionnent dans d’autres pays, tant mieux pour ces pays. C’est qu’ils ont su trouver la formule qui reflète leur réalité énergétique, réglementaire et politique. Tout modèle de gestion n’est pas nécessairement exportable ou adaptable ailleurs de l’endroit où il a été créé. Le gouvernement aurait grandement intérêt à bien faire ses devoirs et à consulter avant de céder au chant des sirènes.
L’écosystème de l’efficacité énergétique est généralement de nature fragile. Et malgré les apparences, chaque juridiction, chaque État en possède un qui se différencie des autres. Ce qui fonctionne en France, au Wyoming ou au Brésil pourrait très bien devenir une catastrophe au Québec. En particulier, le modèle français d’encadrement de l’efficacité énergétique ne pourrait pas fonctionner au Québec. Il est trop fortement forgé sur la réalité socio-économique de ce pays et repose sur des fondations politiques et réglementaires à des années lumière de celles du Québec.
Introspection
Il serait donc crucial qu’on cesse, pour de bon, de changer les règles du jeu. La dernière chose dont l’industrie de l’efficacité énergétique a besoin en ce moment, c’est qu’un consultant fasse croire au gouvernement qu’il a découvert le graal de l’efficacité énergétique ou la formule de la quadrature du cercle.
Si nous sentons le besoin de questionner notre façon de gérer l’efficacité énergétique, commençons par consulter notre nombril. Je suggère de commencer par une analyse détaillée de tout ce qui s’est fait au Québec depuis 1977. Regardons ce qui a fonctionné et ce qui a échoué. Je parie qu’on se rendra bien vite compte que l’efficacité énergétique est d’une simplicité désarmante si on cesse de répéter les erreurs du passé.
Aucune raison d’avoir une société d’État pour gérer quelque chose d’aussi simple.