Le 23 avril dernier, le maire de New York, Bill de Blasio, a surpris à peu près tout le monde en annonçant qu’il souhaite approvisionner sa ville avec de l’électricité québécoise. Le premier ministre du Québec, François Legault, y est même allé d’un magnifique « WOW » bien senti.
M. Legault a raison de se réjouir, car c’est un phénomène tout à fait nouveau que l’énergie bleue du Québec soit considérée comme étant verte. Jusqu’à tout récemment, les environnementalistes voyaient rouge quand il en était question. Pour plusieurs, et pendant longtemps, les barrages du Québec ne se qualifiaient pas en matière de développement durable. Mais depuis que nous transitionnons énergétiquement, il semble que l’hydroélectricité du Québec devienne plus fréquentable. Mail il y a un drapeau jaune qui s’agite.
Restons calme
Il y a en effet lieu de tempérer notre enthousiasme. Ce n’est pas parce que M. de Blasio veut un contrat en place d’ici un an avec Hydro-Québec que les électrons québécois vont se mettre à vibrer en direction de la Grosse Pomme dans cet horizon.
D’ailleurs, j’aime bien le nom de la ligne de transport qui amènerait l’électricité à New York : the Champlain Hudson Power Express. Express, c’est pour la portion américaine.1 Le hic, c’est qu’il va falloir y ajouter une petite portion sur le territoire québécois – ou canadien, selon le point de vue. Et ici, la construction d’une ligne de transport d’électricité, ça ne peut pas s’appeler « express ».
Ennemis hier, amis aujourd’hui
Au lendemain de l’intervention du maire de Blasio, Mario Dumont a fait un commentaire très intéressant dans le Journal de Montréal, et j’ai souris en le lisant. Essentiellement, M. Dumont précisait que, si le Québec pouvait aujourd’hui se targuer d’avoir une abondante source d’énergie verte, c’est grâce à un combat mené contre les pressions exercées par les groupes environnementaux. Et il a parfaitement raison. Ces derniers s’opposaient becs et ongles à la construction de centrales hydroélectriques au Québec.
Dans les années 1990, le démantèlement des vieilles centrales électriques au charbon en faveur des centrales de cogénération était dans l’air du temps. Tous et toutes, y compris – et j’ajouterais surtout – les plus fervents environnementalistes, considéraient que le gaz naturel était la source d’énergie de l’avenir et que celle-ci allait sauver la planète. Cela peut sembler risible aujourd’hui, mais, à l’époque, je peux vous confirmer que c’était bien la position favorite des environnementalistes. Il faut dire que le gaz de schiste ne faisait pas encore partie des sources d’approvisionnement.
Grande Baleine, ça vous dit quelque chose?
Mario Dumont a aussi subtilement glissé, dans son billet du 24 avril, une référence au projet Grande-Baleine. Référence très intéressante dans le contexte.2 Pour ma part, je me souviens d’une rencontre de fonctionnaires fédéraux à laquelle je participais au début des années 1990. Cette rencontre portait exclusivement sur le développement des projets hydroélectriques au Canada. On y discutait des responsabilités constitutionnelles des provinces et de celles du gouvernement du Canada, notamment en matière de production et de commerce de l’électricité.
Évidemment, à cette époque, il n’y avait pas une seule rencontre fédérale-provinciale portant sur l’électricité où on ne discutait pas des Chutes Churchill. Cette question alourdissait l’atmosphère en permanence. Naïfs que nous étions, nous pensions que la Cour Suprême avait réglée cette question. Les vingt-cinq années qui ont suivi ont clairement démontré qu’un jugement de cour ne dure souvent que le temps écoulé entre deux poursuites – aussi suprême soit-il.
Dans ce contexte de guerre froide, la rencontre d’Ottawa s’est soldée par une intéressante déclaration d’une fonctionnaire fédérale. « Grande Baleine – over my dead body! » Une telle éloquence ne laisse pas beaucoup de place à la nuance. Cette personne – je tairai volontairement son ministère d’attache – était native de Terre-Neuve et Labrador. Pas besoin de plus de précision.
Geste théâtral de Jacques Parizeau
C’est Jacques Parizeau, alors premier ministre du Québec, qui a finalement mis fin à l’aventure Grande Baleine en tablettant le projet en 1994. Parizeau a pris tout le monde par surprise, y compris les opposants. Il a justifié sa décision en s’appuyant sur l’annulation par l’État de New York en 1992, d’un contrat en vue d’importer de l’électricité du Québec. Le gouverneur de l’État de New York, Mario Cuomo, suggérait que cette décision était fondée sur des raisons économiques.3 Pas sûr.
Le débat concernant le projet Grande Baleine ne s’est pas toujours fait avec des gants blancs. De l’exagération, il y en a eu de tous les genres et de tous les styles. Un membre de la célèbre famille Kennedy avait d’ailleurs milité avec ferveur, et pendant plusieurs années, pour s’opposer à ce projet.4
Ce n’est pas d’hier que la célébrité se met à disposition des causes sociales et environnementales. C’est juste que nous avons généralement la mémoire courte. Souvent, les contradictions de ces grandes-manifestations-d’opposition-à-tout-prix-à-tout-développement-énergétique n’apparaissent qu’avec le passage du temps.
Pour ceux et celles qui ont vécu cette histoire de près, il est clair que les pressions exercées par les groupes environnementaux et autochtones ont lourdement pesé dans la décision de Mario Cuomo et ensuite dans celle de Jacques Parizeau. Car il y a vingt-cinq ans, c’est l’Amérique du Nord au grand complet qui s’opposait à la production et au commerce de l’énergie sale du Québec.5
Acte de l’Amérique du Nord Britannique
Dans ma jeunesse, à la petite école, nous apprenions dans nos cours d’histoire du Canada que le pays avait été créé par la couronne Britannique au moment de la publication de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique (AANB). C’est en gros ce que nous savons de l’AANB.
Ce n’est que plus tard que j’ai appris qu’en vertu de cet Acte fondateur, le gouvernement du Canada possède la compétence pour réglementer le commerce entre les provinces ainsi que le commerce international. Les provinces, quant à elles, tablent sur l’article 92.A qui leur donne l’autorité sur la production d’énergie.
Ainsi, les provinces peuvent extraire, transformer, manipuler leurs ressources naturelles comme elles le veulent tant que ça se fait sur leur territoire. Mais c’est le gouvernement du Canada qui en autorise le commerce hors des frontières provinciales. Pour ce qui est du commerce de l’électricité, c’est l’Office national de l’énergie (ONÉ), qui autorise – ou non – la construction de lignes de transport d’électricité à des fins d’exportation vers les États-Unis mais aussi à des fins de commerce entre les provinces.
Et voici le drapeau jaune
Depuis plusieurs années, quand une demande d’autorisation est déposée, l’ONÉ évite de reproduire les mesures prises par un demandeur (par exemple Hydro-Québec Trans Énergie) et par le gouvernement de la province d’où provient l’électricité (par exemple le Québec). C’est le cas notamment des évaluations environnementales. Quand tout va bien, l’ONÉ émet un permis, généralement en moins d’un an. Par exemple, le permis EP-303 pour la nouvelle interconnexion avec le New Hampshire a été délivré le 5 mars 2018 pour une demande déposée le 23 décembre 2016. 6
Quand ça va moins bien, l’ONÉ peut tenir des audiences publiques. Et là, tout peut se produire. Même si on suppose a priori que ces demandes d’autorisation sont dans l’intérêt public, il se peut qu’un intervenant démontre clairement à l’ONÉ qu’un problème existe qui n’a pas déjà été réglé au niveau provincial, ce qui risque d’enclencher une audience. Oui, c’est dans le domaine du possible. Et depuis peu, ça devient de plus en plus plausible.
Projet de loi C-69
Car, ce bel équilibre, c’était avant le dépôt par le gouvernement du Canada du projet de loi C-69. 7 Il est présentement en examen par le comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, dont le rapport est attendu le 9 mai prochain.
D’ailleurs, le témoignage du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoît Charette, devant ce comité sénatorial le 26 avril dernier, en dit long sur les inquiétudes du gouvernement du Québec.8
En matière de construction de ligne de transport d’électricité, comme en matière de construction de pipeline, il ne faut jamais rien tenir pour acquis. Le projet de loi C-69 contient plusieurs ingrédients susceptibles de mettre la pagaille dans le secteur de l’énergie au Canada. On n’a pas fini d’en parler.
Les rivières ne sont pas toutes de longs fleuves tranquilles.
Notes
- ww.chpexpress.com/
- https://www.journaldequebec.com/2019/04/24/un-contrat-potentiel-de-10-milliards
- https://www.nytimes.com/1992/03/28/nyregion/cuomo-citing-economic-issues-cancels-quebec-power-contract.html
- https://archive.macleans.ca/article/1996/9/23/people
- https://www.nytimes.com/1992/01/12/magazine/power-struggle.html
- https://apps.neb-one.gc.ca/REGDOCS/%C3%89l%C3%A9ment/Afficher/3490410
- Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-69/troisieme-lecture
- http://www.fil-information.gouv.qc.ca/Pages/Article.aspx?Page=6&idArticle=2704262604