La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a annoncé le 6 mai dernier qu’elle entendait éliminer le chauffage au mazout du territoire de la ville de Montréal d’ici 2030. 1 Cette annonce a été faite comme s’il s’agissait de proposer rien de moins qu’une révolution énergétique. Qu’on se calme, s’il vous plaît.
De son côté, le maire de l’enclave Ville Mont-Royal a quant à lui affirmé quelques jours plus tard que son objectif était de sortir le mazout de sa ville d’ici 2025. 2 Relance de voisin gonflable? Si les deux villes étaient restées fusionnées, on aurait probablement tranché pour juin 2027.
Pourquoi cibler le mazout?
Le graphique 13 montre la consommation d’énergie du secteur résidentiel au Québec par source d’énergie de 1990 à 2016. Comme on peut le constater, la consommation de mazout est en constante diminution depuis 25 ans. Montréal ne fait très certainement pas exception à cette règle.
On peut raisonnablement retenir l’hypothèse que cette diminution tendancielle observée depuis 1990 va se poursuivre d’elle-même sans qu’on ait besoin d’intervention. La question se pose alors : si ça se fait tout seul, pourquoi faudrait-il subventionner la conversion du chauffage au mazout, sauf pour se donner bonne conscience?
Si on considère le portrait d’ensemble, l’avancement technologique, l’âge vieillissant du parc de chaudières au mazout et du parc de bâtiments où on les retrouve, et les méthodes de chauffage alternatives, on s’attaque peut-être à la mauvaise cible.
Le graphique 24 montre les émissions de GES pour le secteur résidentiel entre 1990 et 2016.
On voit clairement que les émissions associées au mazout sont en nette régression au cours de cette période alors que celles associées au gaz naturel et au bois ont été en progression constante. Ne vaudrait-il donc pas mieux mettre nos énergies (!) et nos efforts là où ça pourrait faire une réelle différence? L’efficacité énergétique, ça concerne aussi le gaz naturel et le bois.
On transitionne vers quoi au juste?
Il n’y a pas trente-six-mille options pour remplacer le mazout à des fins de chauffage résidentiel. Pour les nostalgiques d’une époque révolue, on oublie bien sûr le charbon. Nous ne sommes quand même plus en 1800 quelque chose. Le gaz naturel est une option économique intéressante, mais on veut s’en débarrasser d’ici 2050. C’est à cause de la transition énergétique.
Il y a le bois, mais ça aussi, on l’a éliminé même s’il est considéré comme étant carboneutre. Les bûches ne sont pas pratiques, et les granules, c’est trop compliqué à gérer. Et puis ça laisse une fumée jaunâtre dans l’atmosphère. J’ai vu et senti ça à Linz, en Autriche, il y a quelques hivers. C’était plutôt désagréable.
L’option solaire est à considérer. Mais au Québec, la demande saisonnière de pointe se produit surtout l’hiver quand les heures d’ensoleillement sont à leur minimum. Et la demande de pointe d’électricité est principalement le matin avant 9h00 et le soir après 17h00 – quand il fait noir et que le soleil fait dodo. Probablement pas une option réaliste à grande échelle.
Viennent ensuite les thermopompes. Les thermopompes air-air sont principalement utilisées à des fins de climatisation. Pour le chauffage, la performance diminue au fur et à mesure que le mercure descend. Certains modèles sont efficaces à des températures plus basses, mais passé un certain seuil, ce n’est plus le cas.
Les thermopompes eau-air, c’est la géothermie. La géothermie sert autant à climatiser qu’à chauffer les espaces. Mais elle a plusieurs problèmes, dont son dimensionnement et son prix astronomique. On parle ici de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Assurément pas à la portée de toutes les bourses.
Il reste quoi alors?
Le système de chauffage central électrique est un bon choix. Il faut toutefois prévoir l’installation de conduites de ventilation dans bien des cas. Souvent, il est nécessaire de redimensionner des conduites existantes, car elles ne sont pas nécessairement adaptées. À considérer.
L’option la plus économique demeure donc la bonne vieille plinthe électrique. La version 1500 watts se détaille 68,99 $ sur le site Internet d’une chaîne de quincailleries cette semaine. À ce prix-là, on peut faire le tour d’une maison de taille moyenne pour moins de 1000 $, et prévoir au plus 4000$ pour l’installation et le changement de l’entrée électrique si nécessaire.
Ça peut coûter cher à l’usage, mais on nous informe régulièrement que le Québec nage dans les surplus d’électricité et qu’on veut maintenir les augmentations de prix sous le niveau de l’inflation. Il n’y a donc pas de souci. Plus le temps passe, moins ça coûte cher en termes réels.
Ne transitionne pas qui veut
Il serait un peu malaisant d’affirmer que les citoyens de Ville Mont-Royal vivent dans la dèche et disposent de moyens financiers limités. Pour la forme, j’ai préparé le tableau ci-dessous. Il propose quelques données sociodémographiques pour Ville Mont-Royal et les arrondissements de Lachine et d’Anjou.5 C’est forcément incomplet, mais ça illustre mon propos.
On peut ajouter d’autres statistiques à ce portrait. Le prix médian des maisons unifamiliales vendues à Ville Mont-Royal au cours des quatre derniers trimestres s’élève à 1 380 000 $. C’est 396 500 $ à Anjou, et 440 750 $ à Lachine. Au cours de la même période à Thetford Mines, on a comptabilisé 105 000 $, 195 000 $ à Amos, et 150 000 $ à Roberval.6
On aura beau mettre à la disposition du peuple des subventions de toutes sortes, ce ne sont que les propriétaires de maison qui en profitent. Ce constat suggère que les programmes sont biaisés en faveur des citoyens les plus fortunés. Et parmi les propriétaires, plusieurs peinent à payer leur hypothèque. Il serait étonnant qu’ils puissent se payer des systèmes de chauffage alternatifs coûteux.
Dans plusieurs autres cas, la valeur des travaux de rénovation requis est prohibitive par rapport à la valeur du bâtiment. Le prix moyen des maisons dans les différentes régions du Québec est loin de ce qu’on constate à Montréal ou à Ville Mont-Royal. Par exemple, installer un système géothermique de 35 000$ dans une maison de 125 000$ est tout simplement ridicule. Jamais la valeur de la maison ne reflètera une telle dépense. Même chose pour les panneaux solaires et les thermopompes.
Qui paye pour qui?
L’argent du Fonds vert semble encore une fois dirigé au mauvais endroit. D’ailleurs, le Fonds vert est garni en grande partie avec de l’argent qui vient d’une taxe sur les carburants et d’une quote-part exigée des distributeurs d’énergie comme Hydro-Québec et Énergir. Je rappelle aussi à ceux et celles qui sortent peu souvent de Montréal ou de Québec que les citoyens des régions utilisent leur véhicule bigrement plus que les citoyens des grandes villes. Il suffit de constater les distances à parcourir et de connaître un peu la structure des économies locales pour comprendre. Les résidents des régions-ressources contribuent une part disproportionnée des taxes qui alimentent le Fonds vert et ils en profitent nettement moins.
Tous les citoyens du Québec soutiennent involontairement des programmes d’aide financière de Transition énergétique Québec (TÉQ). Comme TÉQ ne se soucie pas d’évaluer les taux d’opportunisme de ses programmes, on en arrive à des situations saugrenues où ce sont les citoyens les plus riches qui profitent le plus de ces programmes. Les subventions pour le remplacement du mazout profitent donc particulièrement à ceux qui en ont les moyens. Il me semble qu’il y a d’autres façons de répartir la richesse.
Agir avec vision?
La mairesse de Montréal a aussi déclaré qu’elle souhaiterait voir une bonification du programme Chauffez vert de TÉQ. On souhaite dépenser des centaines de millions pour résoudre un problème qui va se solutionner de lui-même sensiblement dans l’horizon souhaitée pour la transition énergétique. Bonjour les opportunistes. Il serait grandement plus logique et économique de légiférer, comme on l’a fait avec les foyers au bois, et de donner au temps le temps de faire son œuvre.
Dans le cas présent, appuyer sur l’accélérateur de la transition énergétique ne sert que deux objectifs. D’abord, offrir des subventions à ceux et celles qui ont les moyens de les recevoir. Ensuite, s’approprier du crédit que l’on ne mérite pas et faire croire au monde qu’on a fait œuvre utile. Du tape-à-l’œil.
En définitive, on cherche une solution à un problème qui disparaîtrait de lui-même avec le passage du temps. S’attaquer au « problème » du chauffage au mazout, c’est comme frapper un adversaire qui est déjà au sol. C’est une solution facile qui demande peu d’effort.
Ça manque d’originalité.
Notes
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1168245/montreal-carboneutralite-chaudieres-foyers-chauffage-mazout
- https://www.ville.mont-royal.qc.ca/fr/nouvelles/divers/mont-royal-va-interdire-chauffage-mazout-contraindre-encore-plus-chauffage-bois
- Données compilées par Énergie Québec à partir de: Ressources naturelles Canada, « Base de données complète sur la consommation d’énergie, Secteur résidentiel, Québec, tableau 1 : Consommation d’énergie secondaire et émissions de GES par source d’énergie ».
- Idem.
- Données compilées par Énergie Québec à partir de: http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6897,67845597&_dad=portal&_schema=PORTAL
- https://www.centris.ca/fr/outils/profil-de-la-population/?&uc=0