Investissement responsable et investisseurs irresponsables

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L’Association française de la gestion financière et le Forum pour l’Investissement responsable définissaient en 2013 l’investissement socialement responsable comme « …un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. »1

Les obligations vertes

L’investissement responsable se fonde donc sur le principe du développement durable. Les investissements responsables se déclinent en plusieurs «saveurs». Du nombre, on retrouve les obligations vertes, très populaires depuis quelques années. Elles sont émises tant par les gouvernements que par les sociétés privées, petites et grandes, et doivent normalement servir à financier le développement de projets verts. Une obligation verte fonctionne selon les mêmes principes que n’importe quelle autre obligation.

Par exemple, une obligation du gouvernement du Québec est essentiellement un prêt que l’on fait au gouvernement du Québec en échange d’un rendement fixe ou variable pendant un certain nombre d’années. En retour, le gouvernement se sert de l’argent recueilli selon son bon vouloir. L’obligation verte fonctionne de la même manière. Les individus ou les institutions prêtent de l’argent à une entreprise ou à un groupe financier avec la promesse d’un rendement de x % pendant un nombre y d’années.

Les obligations vertes peuvent être émises pour investir dans le transport en commun, dans des parcs de véhicules électriques, dans un barrage hydroélectrique ou dans des mesures d’efficacité énergétique. Ce qui donne évidemment lieu à des investissements dont l’impact environnemental est à géométrie variable et qui fait dire à certains que les obligations vertes possèdent différentes «teintes de verdure».

Et la rentabilité?

Mais au-delà des nuances de verdure, ce qui fera l’objet d’autres articles, il importe de ne pas perdre de vue l’aspect financier derrière l’émission d’une obligation. L’obligation en question doit être rentable. Avant d’investir, il faut évaluer si l’obligation (ou la technologie sous-jacente) est rentable, et ce, sur la durée de vie utile des équipements ou du projet faisant l’objet d’un investissement. Une obligation est un investissement, pas un cadeau. Et il est tout à fait normal de savoir si c’est un investissement risqué.

Le risque en investissement se mesure selon différents barèmes : l’historique d’investissement de l’émetteur, la stabilité financière de ce dernier, la nature de l’investissement, les risques technologiques, la réputation des entreprises, etc. Plus une obligation est risquée, plus le taux de rendement sera élevé. À l’opposé, moins le risque est élevé, moins le taux de rendement le sera.

Investir dans une obligation verte dans le but de faire un geste positif pour l’environnement est tout-à-fait louable. Investir dans une obligation verte avec espérance de rendement devient déjà plus douteux. Mais investir dans des obligations vertes de pacotilles est un sport extrême, malgré nos préoccupations pour l’environnement.

Obligation de pacotille

Selon la commission des valeurs mobilières de l’Ontario, une obligation de pacotille (ou pourrie) est une « obligation avec de faibles notations, souvent émise par des entreprises nouvelles ou moins stables. Le risque est plus élevé que l’entreprise ne puisse pas rembourser les gens qui achètent ses obligations. »2

De son côté, Desjardins qualifie les obligations de pacotille de « titres de créance de sociétés en proie à toutes sortes de difficultés financières. Les obligations de pacotille sont tellement risquées, qu’elles doivent offrir des rendements nettement plus élevés que ceux des autres titres de créance pour attirer les investisseurs. Les obligations ne sont donc pas automatiquement plus sûres que les actions. Certaines sont même plus risquées que les actions. »3

Les obligations de pacotille reçoivent cette étiquette lorsque des agences de notation financière comme Moody’s, Standard & Poors ou DBRS accordent une cote BB ou B. En comparaison, une obligation de très bonne qualité sera cotée AAA; celle de qualité supérieure, AA; une autre de bonne qualité, A; et celle de qualité moyenne, BBB. Dans les C, on nage dans la spéculation, et à D, dans les défauts de paiement.

Rendement et risque

Comme mentionné plus haut, plus une obligation est risquée, plus la prime d’intérêt devra être élevée. Partons du principe qu’une émission de référence d’obligation du gouvernement du Canada d’un terme de 5 ans offrait un taux d’intérêt de 0,5 % en février 2017. Au même moment, une obligation AAA émise par une société privée devait offrir une prime d’intérêt de 60 points de base par rapport aux obligations du Canada, soit un taux d’intérêt de 1,1 %. Les obligations cotées A avaient une prime d’intérêt de 90 points de base, soit un taux de 1,4 %. Pour des obligations de pacotille cotées BB ou B, cette prime pouvait varier de 230 à 370 points de base, pour un taux allant de 2,8 % à 4,2 %.

Le scénario proposé ici illustre ce qui se passe pour des sociétés qui ont fait l’objet d’analyses exhaustives par les agences de notation. On peut donc penser – à tort ou à raison, et, répétons-le, quand les sociétés ont fait l’objet d’analyses exhaustives – que le niveau de risque associé aux obligations de pacotille est gérable, ou à tout le moins, accepté en toute connaissance de cause.

Mais, toujours en février 2017, comment pouvait-on qualifier une obligation verte dont le rendement offert est de 5 % sur un horizon de 5 ans, sans possibilité d’encaissement avant l’échéance, dont l’entreprise émettrice n’existe que depuis peu, entreprise qui n’est pas cotée en bourse, qui investit dans des projets nébuleux aux performances douteuses et dans des actifs somme toute insaisissables et parfois intangibles? En toute logique, l’écart de taux de 450 points de base par rapport aux obligations du Canada reflète un risque très élevé. Même avec un taux d’intérêt stratosphérique, le commun des mortels devrait passer son tour.

Diversification et risque de crédit

Par ailleurs, plusieurs obligations vertes disponibles sur le marché le sont dans de petits portefeuilles, souvent de quelques millions seulement. Deux problèmes se posent. D’abord un problème de diversification. Il est en effet très difficile de construire un portfolio stable et équilibré d’investissements avec seulement quelques millions. Si l’investisseur peut diversifier son portefeuille en achetant des obligations à coup de 1000 $ dans différentes catégories d’actifs, c’est beaucoup plus difficile pour un petit fonds d’investissement qui ne peut raisonnablement investir que dans quelques projets. Si l’un d’eux ne donne pas les rendements escomptés, c’est la totalité du portefeuille qui va en souffrir. Les dangers sont d’autant plus grands si le fonds s’engage dans du réinvestissement ou dans des activités de consolidation d’actifs. Ce sont souvent des placements à très haut risque.

Ensuite, rappelons-nous qu’une obligation est essentiellement un prêt consenti à une entreprise pour un temps fixe. L’entreprise doit espérer que ses investissements produisent un rendement suffisant pour payer l’investisseur pendant la durée de l’obligation, disons 3 à 5 ans.  Elle doit en plus planifier et exécuter le remboursement du capital à terme. S’il y a un resserrement des conditions du crédit sur les marchés, il est possible, et hautement probable, que l’entreprise ne puisse liquider ses actifs ou emprunter pour rembourser les investisseurs.

En matière d’investissement, on ne cessera jamais de le répéter, si les rendements offerts semblent trop beaux pour être vrais, c’est probablement le cas. En matière d’obligations vertes, si le rendement offert est trop vert foncé, c’est probablement qu’on y a ajouté de la teinture.

Reprenons ici la citation de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. En matière d’obligation de pacotille : «… le risque est plus élevé que l’entreprise ne puisse pas rembourser les gens qui achètent ses obligations. » On peut prendre soin de l’environnement sans y laisser sa chemise…ou ses économies. L’investissement responsable ne doit pas devenir toxique pour le portefeuille des investisseurs irresponsables.


Notes

  1. https://www.boursorama.com/bourse/actualites/l-afg-et-le-fir-donnent-une-nouvelle-definition-a-l-isr-7b9a4fd7c8cf2466e003dfc0e21a4d46
  2. https://www.gerezmieuxvotreargent.ca/glossaire/obligation-de-pacotille-ou-pourrie/
  3. https://www.desjardins.com/coopmoi/plans-action-conseils/epargne-placements/caracteristiques-obligations/index.jsp

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