La face cachée de la transition énergétique

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Il y a quelques semaines, la Californie a annoncé que l’installation de panneaux solaires photovoltaïques sera obligatoire pour toutes les nouvelles constructions résidentielles. Cette nouvelle politique prendra pleinement effet dans deux ans.1Une décision directement en ligne avec la transition énergétique de cet état américain.

En Californie, la demande de pointe journalière d’électricité se produit sensiblement entre 9h00 et 18h00. Celle-ci reflète les besoins de climatisation et autres usages dans les édifices à bureaux. La demande de pointe critique se produit pendant les heures d’ensoleillement et quand les propriétaires de maison sont absents. L’apport d’énergie solaire dans le réseau électrique californien pendant ces heures de forte demande est donc tout à fait logique.

Le soleil du Québec

Le Québec a bien sûr une demande de pointe en électricité saisonnière hivernale à cause des besoins de chauffage. En Californie cette pointe saisonnière est plus accentuée l’été à cause des besoins de climatisation. Au Québec, la demande électrique journalière de pointe se retrouve surtout le matin avant 9h00, et le soir après 17h00. En Californie, cette pointe journalière se constate entre 9h00 et 18h00.

Le Québec et la Californie partagent un système d’échange de droits d’émission de GES. Mais la structure de l’offre et de la demande d’énergie ne présente pas des profils semblables. En fait, c’est tout le contraire. La solution californienne n’est probablement pas pertinente dans le cas du Québec. La Régie de l’énergie a d’ailleurs soulevé cette particularité dans le cadre d’une récente décision sur le mesurage net de l’autoproduction d’électricité.2

Le soleil et la géothermie

Aux yeux de plusieurs, la promotion des énergies renouvelables dans le secteur résidentiel au Québec est souhaitable. Les technologies dont on parle le plus souvent sont le solaire photovoltaïque et la géothermie.

Dans le premier cas, il s’agit de produire de l’électricité en remplacement de celle fournie par Hydro-Québec. Un kilowattheure auto-produit, ou un kilowattheure acheté d’Hydro-Québec aura au bout du compte la même utilité dans une maison : faire fonctionner n’importe quel appareil électrique.

Dans le second cas, on utilise l’électricité distribuée par Hydro-Québec pour remplacer une portion de l’électricité nécessaire au chauffage ou à la climatisation. Dans ce cas, il est question de production de chaleur et de froid, et non pas d’électricité. Une nuance importante.

Tout bien considéré, il est vrai que les deux technologies permettent de réduire la demande d’électricité auprès du distributeur. En principe, pour un client, il s’agit d’une bonne chose, car sa facture est réduite d’autant. Cependant, comme aucun des deux systèmes n’est autonome à 100 %, les deux doivent acheter de l’électricité d’Hydro-Québec.

L’hiver, on gèle

Au Québec, la production d’électricité à l’aide du photovoltaïque est beaucoup plus faible en période hivernale qu’en période estivale : les journées sont plus courtes et le soleil est plus bas à l’horizon. C’est donc dire qu’en période de pointe hivernale, le solaire photovoltaïque contribue peu aux approvisionnements en énergie électrique. Les propriétaires de ces systèmes font donc appel à Hydro-Québec pour combler leur besoin, particulièrement pendant les pointes du matin et du soir.

La géothermie est une technologie extrêmement coûteuse. On parle ici de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Pour en réduire le coût, le dimensionnement du système se fait selon un pourcentage des besoins de chauffage du bâtiment. Ceux-ci sont mesurés par les pertes thermiques de celui-ci. La plupart des systèmes sont dimensionnés pour répondre à 70-80 % des besoins de chauffage.

Pour satisfaire la totalité des besoins, la thermopompe dispose d’un système électrique auxiliaire. En général, on parle de 10, 15 ou 20 kW qui s’ajouteront à la géothermie quand il fait très froid. Bref, la géothermie permet de réduire la consommation d’énergie électrique du client, mais augmente la demande d’électricité en puissance quand il fait froid.

Inadéquation entre l’offre et la demande

Les deux technologies réduisent la demande globale d’énergie requise du distributeur quand celui-ci n’a aucun problème d’approvisionnement. À l’opposé, les deux technologies augmentent les besoins en puissance du distributeur quand celui-ci risque d’avoir des problèmes d’approvisionnement. Ainsi, tant le solaire photovoltaïque que la géothermie contribuent à amplifier la demande de pointe électrique pendant les périodes critiques.

À l’échelle d’une ou deux maisons, dont les panneaux solaires et la géothermie contribuent à augmenter la demande en puissance, on n’y voit pas trop d’inconvénients. Si on parle de quelques centaines de maisons réparties sur le territoire québécoise, ça se gère. Le recours à la tarification dynamique, sur l’ensemble du réseau, peut compenser pour les déséquilibres causés par le solaire et la géothermie. Mais si on parle de milliers de maisons, parfois concentrées dans des quartiers spécifiques, c’est une tout autre histoire.

Une batterie nommée Hydro-Québec

Le premier ministre François Legault mentionne souvent ces temps-ci qu’Hydro-Québec pourrait être considérée comme la batterie verte du nord de l’Amérique. Une batterie, c’est fort utile en cas de panne de courant ou en cas de demande excédentaire. À l’échelle des approvisionnements des différents réseaux électriques, on parle de complémentarité et de synchronisation d’offre et de demande selon les besoins de l’un et les disponibilités de l’autre. L’adéquation se fait souvent de manière prévisible.

À plus petite échelle, paradoxalement, la situation est plus problématique. Pour le solaire et pour la géothermie, Hydro-Québec agit comme une grosse batterie en latence pour une bonne partie de l’année. On peut s’en servir quelques heures ou quelques jours…ou pas du tout. Mais il y a quelqu’un quelque part qui paye pour maintenir ce service. Et dans le cas présent, cette grosse batterie en latence est payée par l’ensemble de la clientèle d’Hydro-Québec.

La formule de l’utilisateur non-payeur

La facture d’électricité est constituée de deux composantes. L’une est un prix fixe quotidien pour l’accès au réseau, autrefois appelée redevance d’abonnement. L’autre est un prix variable, un tarif pour chaque kilowattheure consommé.

Pour la première composante, chaque client paye le même prix fixe. Un compteur, un coût fixe, peu importe la quantité d’énergie consommée. Par contre, pour le second volet, moins on consomme d’électricité, moins on contribue à payer pour le développement et l’entretien du réseau de distribution. Parce que le réseau de distribution électrique se paye à même les revenus d’Hydro-Québec Distribution.

Les propriétaires qui utilisent l’énergie solaire ou la géothermie (ou les deux) ne paient probablement pas leur juste part des coûts reliés au développement et à l’entretien du réseau de distribution électrique. C’est d’autant plus le cas s’il y a surdimensionnement des réseaux électriques pour satisfaire la demande ponctuelle d’un nombre limité de clients.

La face cachée de la transition énergétique

Il est bien de vouloir remplacer les combustibles fossiles par de l’énergie verte. Il est aussi raisonnable de promouvoir les sources d’énergie renouvelables et non conventionnelles. Personne n’est contre la vertu. Mais si on regarde les approvisionnements et la demande d’énergie de manière plus globale, chacune des décisions prises en faveur de ces nouvelles formes d’énergie provoque des déséquilibres dans les marchés, particulièrement dans le secteur résidentiel.

À nouveau, la transition énergétique favorise ceux et celles qui ont les moyens de s’offrir des systèmes d’énergie alternatifs comme le solaire photovoltaïque et la géothermie. Elle fait payer par l’ensemble des citoyens les frais de maintien et d’entretien d’infrastructures qui ne sont utiles qu’à un petit nombre.

La tarification dynamique représente un « bonus » pour ceux et celles qui restreignent leur consommation lors des pointes, mais il n’y a pas de « malus » pour ceux qui contribuent fortement à la demande de pointe en électricité.

Les efforts déployés en faveur de la transition énergétique ont forcément des impacts majeurs sur la détermination des tarifs d’énergie. C’est particulièrement le cas pour ce qui est de l’électricité dans le secteur résidentiel. La structure tarifaire actuelle ne reflète pas adéquatement les différents profils de consommation actuels et à venir dans ce secteur.

Un jour ou l’autre, bientôt sans doute, la Régie de l’énergie devra se pencher sur cette iniquité tarifaire.

Notes

  1. https://www.nytimes.com/2018/05/09/business/energy-environment/california-solar-power.html
  2. Voir paragraphe 779 et suivants de la décision D-2018-025. http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/414/DocPrj/R-4011-2017-A-0102-Dec-Dec-2018_03_07.pdf

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