Au cours des dernières semaines, plusieurs personnes m’ont demandé de parler de géothermie. Plus précisément, ces personnes étaient intéressées par les thermopompes géothermiques résidentielles. C’est sûr que, si on songe à dépenser 30, 35 ou même au-delà de 40 000 $ pour un système géothermique, il convient de se poser quelques questions. Plusieurs même.
J’ai toutefois hésité avant d’écrire cette chronique. Pas facile de traiter d’un sujet aussi complexe en quelques centaines de mots. Mais en même temps, ma vie professionnelle antérieure me permet de penser que je peux apporter certaines réflexions pertinentes sur le sujet.1 Cette chronique n’en propose que quelques-unes. J’en ai des tonnes en réserve.
La géothermie est-elle rentable?
Ça dépend. En fait, la réponse à cette question est en deux volets.
D’abord, et à cause des économies d’échelles, notamment celles réalisées dans la mobilisation des équipements de forage, l’installation d’un système géothermique dans les bâtiments commerciaux et institutionnels est généralement rentable. Il y a au Québec quelques centaines de ces installations qui fonctionnent correctement et dont la période de retour sur investissement a été de quelques années seulement.
Mais j’en connais aussi plusieurs dizaines qui sont des désastres techniques, financiers et environnementaux. En fait, la liste des installations déficientes est assez longue. Plusieurs de ces installations ont été très largement subventionnées par Hydro-Québec, par le gouvernement du Québec et par celui du Canada. Les programmes d’efficacité énergétique sont très généreux depuis une vingtaine d’années. Mais il est rare que ces programmes s’intéressent aux performances post installation. Ce n’est pas un reproche, mais un constat.
Ensuite, et principalement à cause des tarifs d’électricité peu élevés, la géothermie résidentielle au Québec n’est pas rentable. Bon, au risque de me faire accuser d’être défaitiste ou radical, disons que ce n’est pas rentable dans 90 ou 95 % des cas.
Je sais qu’on peut faire des pirouettes techniques et financières pour tenter de se convaincre – ou de convaincre les autres – que la géothermie résidentielle est rentable. Je connais tous les trucs et toutes les hypothèses qui permettent de tirer la conclusion souhaitée. Mais je n’ai jamais vu de démonstration complète et convaincante de cette rentabilité. Jamais.
Triomphe de la raison…économique
Dans mes dernières années dans l’industrie de la géothermie, j’ai reçu des dizaines d’appels de propriétaires de système géothermique en Ontario qui s’informaient de la procédure pour débrancher leur système. Non pas qu’il ne fonctionnait pas bien; au contraire, il produisait la chaleur et la climatisation voulues, mais à un prix exorbitant.2
En Ontario, il existe une tarification dynamique intéressante pour qui peut moduler sa consommation d’électricité. Le problème avec la géothermie, c’est qu’on ne peut pas jouer avec le thermostat comme on le fait avec les plinthes électriques. Le système est à « ON » 24h/24h, 365 jours par année et le thermostat à 22 ou 23°C.
Le prix du gaz naturel a atteint des sommets pendant la période 2005 à 2008. Cette flambée du prix coïncide avec la mise en place de généreux programmes de subvention pour la géothermie partout au Canada. Au Québec, en 2009, l’aide financière possible dépassait 11 000 $.3 Ce fut à nouveau le cas récemment avec la générosité du crédit d’impôt RénoVert.
Lorsque le prix du gaz naturel a baissé avec l’arrivée massive du gaz de schiste, le nombre d’installations de systèmes géothermiques a suivi la même tendance. Par la suite, plusieurs consommateurs qui avaient fait l’acquisition d’un tel système dans les années précédentes ont paniqué. En Ontario, un système géothermique pompe de l’électricité à deux fois le tarif de la deuxième tranche au Québec, parfois plus. Plusieurs se sont reconvertis au gaz naturel.
On a donc subventionné lourdement des systèmes qui ont ensuite été débranchés. Comme quoi la raison économique individuelle l’emporte souvent sur les préoccupations environnementales collectives. Mais nous continuons sans doute à comptabiliser les réductions de GES des systèmes qui ne fonctionnent plus.
Nos maisons ne sont pas adaptées à la géothermie
Les maisons au Québec ne sont généralement pas adaptées pour la géothermie. La très vaste majorité du parc immobilier résidentiel est chauffé avec des plinthes électriques. Celles-ci sont disposées dans chacune des pièces des maisons et sont dotées de thermostat individuel. Il fait chaud partout à volonté.
Or, si on décide d’installer un système géothermique dans une maison au Québec, il faudra également faire les rénovations nécessaires pour installer des conduits de ventilation afin de distribuer la chaleur dans les différentes zones de la maison. L’exercice peut rapidement devenir complexe et surtout coûteux. Ça, personne n’en parle.
Dans bien des cas, l’architecture des maisons, la disposition des pièces et l’organisation de l’espace ne permettent pas l’installation économique d’un système géothermique. Du moins, un système qui répondra adéquatement aux besoins de chauffage et de climatisation et surtout au confort des occupants.4
Colmater les passoires
Autre élément que tous passent sous silence: nos maisons ne sont pas construites de manière à optimiser l’efficacité énergétique. Autrement dit, elles ne permettent pas d’optimiser ou de réduire la consommation d’énergie au mètre carré par exemple. Plusieurs d’entre elles sont de véritables passoires énergétiques.
Aussi, et avant de considérer l’achat d’un système de chauffage de 40 000 $, il y aurait peut-être lieu de remplacer portes et fenêtres et de faire l’isolation complète du bâtiment. Oui c’est cher, mais ça ajoute de la valeur à la maison. Et en prime, un meilleur confort.
Et puis, une fois ces travaux complétés, on se rendra sans doute compte qu’on peut simplement conserver les plinthes électriques. La réduction de la consommation d’énergie conséquente aux mesures d’efficacité énergétique ne justifiera probablement plus les dizaines de milliers de dollars nécessaires pour la géothermie. Alternativement, le propriétaire pourra aussi considérer l’installation d’une thermopompe air-air. Beaucoup moins chère que la géothermie et très souvent beaucoup plus rentable.
Remplacer le mazout par la géothermie : une mauvaise bonne idée
Transition énergétique Québec (TÉQ), dans le cadre du programme Rénoclimat, subventionne allègrement l’installation de systèmes géothermiques, particulièrement dans le cas de remplacement de systèmes de chauffage au mazout. En théorie, l’idée est bonne, mais dans la pratique, elle l’est moins.
Une maison chauffée au mazout est généralement équipée de conduits de ventilation pour la distribution de la chaleur. Or, le dimensionnement des réseaux de distribution d’air des fournaises au mazout n’est pas adéquat pour les thermopompes géothermiques. Parmi les problèmes possibles, on note le bruit excessif ou les carences en chaleur dans certaines pièces de la maison – particulièrement aux extrémités des réseaux de distribution d’air.
Je serais bien curieux de savoir combien de consommateurs sont conscients de ces particularités techniques. Il serait intéressant de savoir combien en ont été informés au moment de magasiner un système géothermique. Un sondage sur le confort des occupants, après un premier hiver serait aussi révélateur. Je parie que plusieurs se plaindraient du froid relatif dans certaines pièces.
De grâce, cessons le gaspillage subventionnaire
Les subventions de TÉQ pour la géothermie ne peuvent se justifier que pour des raisons idéologiques. Probablement aussi un peu par méconnaissance des particularités techniques et économiques de la géothermie et beaucoup par ignorance de la structure actuelle de l’industrie qui repose solidement sur une base oligopolistique.
Aux États-Unis, le gouvernement fédéral a subventionné la géothermie à hauteur d’un crédit d’impôt de 30 % pendant plus de dix ans. Non seulement ce gaspillage d’argent n’a jamais fait décoller l’industrie mais le nombre d’installations diminue d’année en année depuis l’instauration du crédit.5 Constat qui tend à confirmer que la géothermie résidentielle est un produit de luxe avec un taux d’opportunisme stratosphérique.
Bref, les subventions ont brisé la croissance tendancielle de l’industrie pour ensuite étouffer le marché. À terme, ce sont les entreprises qui installent ces systèmes qui en paient le prix puisque que dans l’état actuel de la technologie, la géothermie ne deviendra jamais un marché de masse. Elle continuera cependant à répondre à une certaine demande pour les biens nantis.
Bon. J’entends déjà hurler dans les chaumières. C’est clair. Pour plusieurs qui entretiennent la confusion depuis des années, la vérité choque, mais elle déboulonne aussi bien des mythes. Tant mieux.
J’ai mentionné plus haut que j’ai hésité à écrire cette chronique. Finalement, j’y ai pris goût.
La suite très bientôt.
Notes
- Par souci de transparence, je précise que j’ai travaillé dans l’industrie de la géothermie pendant plus de douze ans, j’ai été président-directeur général de la Coalition canadienne de l’énergie géothermique. Avec d’autres collègues, nous avons analysé les données techniques de plus de 18 000 installations résidentielles et commerciales au Canada. Personnellement, j’ai aussi été appelé à arbitrer un nombre considérable de conflits entre consommateurs et installateurs de systèmes géothermiques. De belles installations faites dans les règles de l’art, j’en ai vu plusieurs. Des installations déficientes, j’en ai aussi vu des centaines.
- https://www.theglobeandmail.com/real-estate/toronto/ontario-homeowners-geothermal-installation-offers-a-cautionarytale/article38309054/
- Régie de l’énergie. Dossier R-3814-2012. Pièce C-CCÉG-0008. http://publicsde.regie-energie.qc.ca/_layouts/publicsite/ProjectPhaseDetail.aspx?ProjectID=80&phase=1&Provenance=C&generate=true
- Pour plus de détails, je vous invite à lire un article de 2017 portant sur les pièges et embuches de la géothermie résidentielle publié dans le magazine La Maison du 21e siècle. https://maisonsaine.ca/energies/chauffage/geothermie-10-pieges-et-embuches.html
- Cette analyse est fondée sur la disponibilité de statistiques disponibles auprès de sociétés cotées sur les places boursières au Canada et aux États-Unis. À la suite de nombreuses fusions de fabricants de thermopompes géothermiques il y a quelques années et la fermeture de leur capital, il n’y a malheureusement plus de données disponibles publiquement.