Éloge de la lenteur lente

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Ceux et celles qui travaillent dans le domaine de l’efficacité énergétique s’accordent sur un point. La première intervention pour réduire la consommation énergétique d’un bâtiment c’est de travailler à l’amélioration de l’enveloppe de ce dernier. À ce chapitre, plusieurs actions sont possibles: rehaussement de l’isolation, installer des portes et des fenêtres à haut rendement énergétique, un toit vert quand c’est possible, des techniques et des pratiques de construction adaptées aux conditions climatiques du Québec et aux connaissances du XXIe siècle, et ainsi de suite.  On aura beau déployer tous les efforts pour introduire des technologies efficaces, si le bâtiment est une passoire, nous allons «chauffer le dehors» comme disait ma grand-mère. 

Le devoir réglementaire du gouvernement

Il est intéressant de remonter dans le temps pour bien prendre la mesure du dynamisme déployé par le Québec afin d’améliorer les performances énergétiques des bâtiments. Dans la politique énergétique de 1996, L’énergie au service du Québec – Une perspective de développement durable, on peut y lire que « …le cadre normatif et réglementaire constitue une responsabilité exclusive du gouvernement. […] C’est dans cette perspective que l’Agence de l’efficacité énergétique poursuivra la révision des normes concernant la performance énergétique des appareils et la réglementation thermique des bâtiments neufs. […] Toujours en ce qui concerne le bâtiment neuf, il est envisagé l’adoption de certaines dispositions du nouveau code de l’énergie faisant appel à l’approche performance… »1

Nous sommes en 1996. Une nouvelle politique énergétique vient d’être publiée. On y affirme le rôle exclusif du gouvernement en matière de cadre normatif et réglementaire, et on parle de revoir les normes concernant la performance énergétique des bâtiments neufs. Ça me semble très clair comme vision et mandat. Bravo.

Les années passent et…rien ne se passe. Les gouvernements vont et viennent et l’un d’eux accouche d’une nouvelle stratégie énergétique en 2006 : L’énergie pour construire le Québec de demain. On y apprend, page 61, que le gouvernement entend donner l’exemple pour le secteur public. « Pour ce qui est des bâtiments neufs, le gouvernement adoptera des normes de performance énergétique supérieures aux normes définies dans le Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments. » Dans le même document, on peut aussi lire que «…le Code de la construction devrait être modifié et davantage appliqué pour favoriser l’efficacité énergétique. »((L’énergie pour construire le Québec de demain – La stratégie énergétique du Québec 2006-2015.)) Ça, c’était en 2006. Je n’ai jamais vu de rapport qui confirme que les bâtiments neufs du gouvernement ont réellement été construits selon des normes supérieures au Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments (CMNÉB). On peut douter qu’un tel rapport existe.

Seuil de médiocrité

Rappelons-nous  une chose primordiale : un code ou une norme, ça représente un minimum de ce qui est autrement acceptable et non pas une représentation de ce qui est faisable compte tenu des connaissances et des pratiques exemplaires au moment de leur adoption. Autrement dit, un édifice construit selon un code ou une norme représente le pire édifice qu’il est possible de construire légalement.

Affirmer que l’on va dépasser les normes du CMNÉB sans dire de combien on dépassera le seuil de médiocrité, c’est comme ne pas se donner d’objectif précis. De plus, un code qui vise l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments devrait être révisé au minimum tous les cinq ans avec annonce au préalable des nouveaux seuils d’efficacité (ou de médiocrité) à venir. Aucune surprise pour qui que ce soit. Juste du temps pour s’adapter.

Retour vers le futur, en 2016 cette fois-ci. Que nous-dit la Politique énergétique 2030 – L’énergie des québécois source de croissance? Page 34 : « […] le gouvernement […] mettra à jour les normes de construction, qui datent de 1983, pour les nouveaux bâtiments commerciaux, institutionnels et résidentiels de plus de quatre étages. »2 Oui, vous avez bien lu : 1983. Arrivons maintenant en 2018 avec le Plan directeur 2018-2023 de Transition énergétique Québec. Considérons la citation suivante,  page 87 :

« Une première phase de rehaussement de la réglementation concernera les grands bâtiments d’habitation neufs avec l’adoption du Code national de l’énergie pour les bâtiments – Canada 2015, incluant les modifications pour le Québec. »

C’est long longtemps

Depuis presque vingt ans, je me demande pourquoi le Québec n’a jamais rehaussé ses normes de construction pour tenir compte de l’efficacité énergétique. Grâce au Plan directeur de TÉQ, j’ai enfin eu la réponse que j’attendais.3 Toujours à la page 87 : « Toutefois, la mise à jour de la réglementation est plus lente au Québec que dans d’autres États, ce qui retarde l’introduction des innovations technologiques et des pratiques les plus récentes en construction écoénergétique. »

« La mise à jour de la réglementation est plus lente au Québec que dans d’autres États… »! Pourquoi? Comment? À cause de? Explications? On ne sait pas trop. 1983, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, et 2019-2020 si tout va comme prévu. Je cherche les mots pour qualifier cette lenteur qui dure et perdure depuis 37 ans. 

Procrastination? Paresse? Tournage en rond? Manque de vision? Ce sont là quatre façons de ne rien faire et surtout de ne pas faire œuvre utile. Et il en va des organisations comme il en va des êtres humains. C’est normal. Les organisations sont généralement dirigées par des humains. Et s’il est un domaine où le gouvernement peut et doit faire quelque chose, c’est celui de la réglementation, notamment en matière de construction. Nul autre que lui peut le faire à sa place.

Il y a plus d’une décennie, j’ai écrit un mémoire très exhaustif sur l’efficacité énergétique qui recommandait, entre autres, l’adoption du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments. C’était en 2004. Selon toute vraisemblance, le message n’est pas passé.

Je remercie ici l’économiste Pierre Fortin, dont je reprends une citation qui résume assez bien ma pensée. « Ce qu’on veut, c’est que la grosse entreprise de 110 milliards qu’est le gouvernement du Québec se concentre sur ses activités fondamentales. Avec diligence, sans volte-face, partout, et tout le temps. »((Pierre Fortin, L’Actualité, Octobre 2018, p. 51.))

Est-ce trop demander?


Notes

  1. L’énergie au service du Québec – Une perspective de Développement durable. Ministère des Ressources naturelles du Québec, 1996.
  2. Politique énergétique 2030 – L’énergie des québécois source de croissance
  3. Conjuguer nos forces pour un avenir énergétique durable – Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques du Québec 2018-2023.

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