Le cheval blanc de Napoléon est bel et bien blanc

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Il y a quelques mois, nous demandions de quelle couleur était le cheval blanc de Napoléon. Le 31 juillet dernier, dans un avis de la Régie de l’énergie1 portant sur le plan directeur de Transition énergétique Québec (TÉQ), nous apprenions que le fameux cheval blanc était bel et bien blanc. C’est rassurant.

Rappel des faits

En juin 2017, le gouvernement du Québec a adopté le Décret 537-2017 qui fixait deux cibles à atteindre pour la transition énergétique :

  • améliorer d’au moins 1 % par année l’efficacité énergétique moyenne de la société québécoise;
  • abaisser d’au moins 5 % la consommation totale de pétrole par rapport à 2013.

Ces cibles constituent le fondement du premier plan directeur quinquennal de TÉQ. Il fut soumis au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles en avril 2018. Quelques mois plus tard, en juin 2018, le gouvernement du Québec a adopté le Décret 707-2018 qui ordonnait ce qui suit : … « qu’il soit déterminé que le plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques pour la période 2018-2023, […] répond aux cibles, aux orientations et aux objectifs généraux établis par le gouvernement. » Donc, le Décret 707-2018 confirme que le plan directeur répond aux cibles du Décret 537-2017.

Le plan directeur a ensuite été déposé devant la Régie de l’énergie. Celle-ci devait émettre un avis sur la capacité du plan à atteindre les cibles telles que définies dans le Décret 537-2017. C’est cet avis qui a été publié par la Régie le 31 juillet.

Un avis prévisible

Le gouvernement a décrété non seulement que le plan directeur avait la capacité d’atteindre les cibles en question mais qu’il y répondait. Heu? Dans pareil contexte, l’avis de la Régie était assez prévisible :

« La Régie considère qu’aux fins de rendre un Avis favorable, elle n’a pas à déterminer que le Plan directeur atteindra les Cibles 2018-2023 avec certitude, mais plutôt qu’il en a la capacité. Par ailleurs, la Régie a examiné la capacité du Plan directeur à atteindre les cibles dans l’optique où les mesures associées à des impacts en matière d’efficacité énergétique ou de réduction de la consommation de produits pétroliers sont mises en œuvre selon les prévisions […]. »2

Ce que dit la Régie, c’est que ça se peut que le plan directeur permette d’atteindre les cibles. Mais on n’en est pas trop certain. Et si ça se peut, c’est à condition que les mesures proposées se réalisent «selon les prévisions ».  Clairement, un doute persiste dans l’esprit des régisseurs.

Mais comme le gouvernement avait déjà décrété l’absence de doute, la Régie aurait été mal venue de dire le contraire.

Au delà de l’avis

Il y a deux sections de l’avis de 112 pages qui ont particulièrement attiré notre attention. L’avis sur la capacité du plan à atteindre les cibles, cité plus haut, et que l’on retrouve à la page 29. C’est limpide. On savait déjà que le cheval était blanc et on confirme qu’il l’est. Une autre partie intéressante se retrouve au paragraphe 292, l’avant dernier du document. Il mérite d’être cité en entier.

« [292] Aussi, en vue de la préparation du prochain plan directeur, la Régie invite TEQ à :

  • prévoir un accès souple et transparent aux hypothèses et sources de données utilisées dans ses méthodes de calcul et lors de l’estimation des impacts des mesures;
  • accompagner ses prévisions, pour les mesures qui seront reconduites, des résultats qui auront été validés et compilés;
  • préciser les sources de données utilisées pour estimer la demande énergétique par forme d’énergie au Québec et expliquer, le cas échéant, toute modification effectuée aux fins du plan directeur;
  • s’assurer que les informations qu’elle recueillera des différents distributeurs d’énergie, ministères et organismes sont présentées sur les mêmes bases. Par exemple, utiliser les économies d’énergies nettes pour tous;
  • détailler davantage les données macroéconomiques utilisées, incluant les prix de l’énergie, en précisant comment ces données impactent les hypothèses retenues;
  • inclure un résumé de tous les programmes et de toutes les mesures, incluant les objectifs poursuivis, la clientèle visée, le seuil et le type de contribution de TEQ.»3

À première vue, cet extrait semble anodin. Mais ce qu’il propose est loin d’une simple liste de banales recommandations.

Traduction

Nous offrons ici une « traduction » pour ceux et celles qui auraient de la difficulté à bien mesurer l’importance du paragraphe 292.  Voici donc une interprétation, sans lunettes roses, du paragraphe 292.

La Régie :

  • reproche à TÉQ de ne pas avoir fait preuve de souplesse et de transparence en ce qui a trait aux hypothèses et aux sources de données utilisées dans ses méthodes de calcul;
  • juge que les prévisions concernant l’impact des mesures des programmes en cours n’étaient pas accompagnées de résultats validés et compilés;
  • suggère que TÉQ n’a pas précisé les sources des données utilisées pour estimer la demande énergétique;
  • constate que les informations fournies par TÉQ n’étaient pas toutes présentées sur la même base, ce qui rend la comptabilité des impacts impossible;
  • reproche à TÉQ de ne pas avoir suffisamment étayé les hypothèses portant sur les données macroéconomiques utilisées et de ne pas avoir précisé comment ces données impactent les hypothèses retenues;
  • sous-entend que le plan directeur manquait de clarté quant aux objectifs poursuivis par les programmes et les mesures.

Dans certaines décisions et avis émis par les tribunaux administratifs, il faut parfois lire entre les lignes. Il y a des choses qui doivent être dites clairement. Il y en a d’autres qui nécessitent un emballage plus délicat, car un tribunal se doit aussi de bien calculer la portée de ses propos. Pour bien faire passer certains messages, on utilise parfois des subterfuges stylistiques. C’est exactement ce que les régisseurs ont fait dans le cas présent.

Comment donner des baffes sans se faire remarquer

Sous le couvert de recommandations, la Régie glisse subtilement sur le terrain des reproches. Elle le fait d’ailleurs souvent dans son avis. Quelques commentaires subtils sur la transparence,4 et la rigueur des processus d’évaluation et des règles de l’art5 sont parsemés ici et là dans le document.

Il est vrai que la Régie souligne les efforts de consultation de TÉQ pour la préparation de son plan directeur. Mais comme toute bonne chose, il faut savoir doser. Les consultations mènent souvent — la plupart du temps en fait — à une simple collecte d’opinions. On en ressort avec peu de faits étayés et fondés scientifiquement. Au final, ça ne donne pas nécessairement des idées consistantes et un résultat cohérent. Ça manque de viande comme diraient certains, et ça donne un plan directeur conséquent. Et c’est le message envoyé par la Régie au paragraphe 292.

Une pièce d’anthologie réglementaire

Au moment de publier son avis, la Régie sait comme nous tous que TÉQ va disparaître. Ce faisant, il est fort probable qu’il n’y ait pas de deuxième plan directeur qui lui soit présenté en 2023. La Régie n’aura donc pas le plaisir d’en découdre avec TÉQ en regard des recommandations du paragraphe 292. Elle a donc profité du présent avis pour passer ses messages, notamment quant au respect des institutions et des procédures.

Compte tenu du carcan législatif et réglementaire dans lequel avait été placée la Régie dans cette cause, nous nous attendions à peu de l’avis en question. Clairement, de la manière dont TÉQ avait rejeté du revers de la main plusieurs questions pourtant fort pertinentes de la Régie et des intervenants, on pouvait douter.

Demander d’appeler un chat un chat n’était pas un mandat bien difficile. On s’attendait donc à ce que la Régie accouche d’une souris. Mais elle a pris son rôle très au sérieux, et la souris fait 112 pages. Les régisseurs ont fait un excellent travail, fortement nuancé et adéquatement parsemé de non-dits caustiques.

Plusieurs pensaient que la Régie serait la carpette de la transition énergétique sur laquelle on allait s’essuyer les pieds. Et bien non. Son avis dépasse clairement les attentes. Il a été rendu avec style et un certain panache.

Dommage que TÉQ soit vouée à disparaître. Nous aurions aimé voir TÉQ se dépatouiller avec les suivis des « directives » du paragraphe 292.

Notes

  1. Avis de la Régie de l’énergie relatif à la capacité du Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques 2018-2023 à atteindre les cibles définies par le gouvernement du Québec en matière énergétique. Régie de l’énergie – Avis A-2019-01 – R-4043-2018.
  2. Régie de l’énergie, Avis A-2019-01, page 29.
  3. Régie de l’énergie, Avis A-2019-01, page 103.
  4. Régie de l’énergie, Avis A-2019-01, pages 8, 40, 74, 103.
  5. Régie de l’énergie, Avis A-2019-01, pages 8, 92, 95.

Un commentaire

  1. Dans le contexte de la disparition de TEQ et de l’absence de dossiers tarifaires pour Hydro-Québec Distribution, qui est un acteur majeur de l’électrification/transition énergétique, souhaitons que le Commissaire au développement durable sera proactif et s’assurera de l’atteinte des cibles! Beaucoup de temps, d’efforts et d’argent dépensés dans les dossiers de l’Agence et de TEQ pour des résultats décevants… Les mêmes acteurs, le même scénario…. comment s’attendre à de meilleurs résultats dans l’avenir?

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