Il y a au Québec une cinquantaine de sociétés d’État. Je mets au défi les lecteurs de nommer trois de leur PDG. Si vous n’y arrivez pas, ne vous inquiétez pas; c’est tout-à-fait dans l’ordre des choses. Les PDG des sociétés d’État ne sont pas nommés pour être des personnages publics. Le choix de Sophie Brochu de démissionner de son poste de PDG d’Hydro-Québec repose peut-être en partie de cette règle.
Car le mandat des PDG des sociétés d’État est de mettre en œuvre des politiques, des règles ou des lois, élaborées et adoptées par le gouvernement. Ce sont des gestionnaires de l’ombre, et on s’attend à ce qu’ils y restent.
Si bien qu’on ne dirige pas une société d’État comme on dirige une entreprise privée. Faire ombrage à l’actionnaire unique d’une société d’État n’est généralement pas une bonne idée. Comme me l’a déjà soufflé à l’oreille un sous-ministre, il ne faut jamais, jamais, mettre un ministre dans l’embarras. Encore moins un premier ministre.
Chaque personne qui accède à la plus haute marche de la direction d’Hydro-Québec prend les rênes d’une entreprise particulière. Bien sûr diriger un État dans l’État ce n’est pas simple. Mais on se rappellera une intervention remarquée de l’ancien premier ministre Lucien Bouchard, en référence à la cour du roi Pétaud. Quand chacun cherche à commander, il n’y a pas d’ordre. Et le désordre ne fait pas bon ménage avec la politique. Dans ce contexte, la démission de Sophie Brochu comme PDG d’Hydro-Québec était prévisible.
Le mandat d’Hydro-Québec
Avec la création d’Hydro-Québec, le gouvernement du Québec s’est doté d’un puissant outil de développement économique, social et même culturel. La Loi sur Hydro-Québec établit clairement que la Société est un mandataire de l’État. Son rôle premier est de fournir de l’électricité au Québec à un tarif uniforme partout sur le territoire. Et c’est au gouvernement que revient la responsabilité de fixer les caractéristiques de cet approvisionnement.
Ainsi, è titre de mandataire de l’État, Hydro-Québec développe des plans stratégiques, mais ils doivent être établis suivant la forme, la teneur et la périodicité fixées par le gouvernement. En clair, Hydro-Québec n’a pas le pouvoir de faire ce qu’elle veut, quand elle le veut et comme elle le veut.
Finalement, l’actionnaire unique d’Hydro-Québec, c’est le gouvernement du Québec. Et le gouvernement du Québec est dirigé par le premier ministre du Québec. C’est le gouvernement du Québec qui nomme le PDG et les membres du conseil d’administration d’Hydro-Québec. Et il peut à sa guise les démettre de leurs fonctions.
À chacun son rôle
Sophie Brochu n’est pas une élue de l’Assemblée nationale et elle n’a pas de pouvoirs législatifs ou réglementaires. Comme PDG d’Hydro-Québec, son rôle est d’assister le gouvernement du Québec dans la mise en œuvre des politiques énergétiques déterminées par ce dernier. Et le rôle d’Hydro-Québec est de fournir de l’électricité à la population et aux entreprises du Québec. Le reste ne relève pas de sa compétence.
On verrait d’un très mauvais œil le PDG de la Société québécoise du cannabis se présenter à Tout le monde en parle pour émettre son opinion sur les vertus médicales de ses produits; ou chez Ricardo pour partager ses meilleures recettes de muffins au pot; ou dans les supermarchés pour vendre des jujubes de cannabinol. Il en va de même pour le PDG d’Hydro-Québec.
Bien sûr on ne demande pas à madame Brochu de ne pas avoir d’idées, bien au contraire. Mais on s’attend à ce qu’elle les partage surtout en privé avec son unique actionnaire. Et il y a des choses qu’on peut faire comme dirigeante d’une entreprise privée que l’on ne peut faire comme dirigeante d’une société d’État – notamment entretenir le vedettariat. Et madame Brochu le sait très bien.
Certains pensent que Pierre Fitzgibbon en mène large en cumulant les fonctions de ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Peut-être. Toutefois, madame Brochu est beaucoup trop intelligente pour ne pas savoir qu’intervenir publiquement comme elle le fait depuis sa nomination à la direction d’Hydro-Québec en 2020 laisse des traces.
Confronter ouvertement le ministre le plus puissant du cabinet n’est pas la meilleure manière de faire avancer ses idées. Jusqu’à maintenant, les apparences portent plusieurs à croire que la démission de Sophie Brochu repose sur des divergences concernant la vente d’électricité à rabais à certaines entreprises. Dans le contexte, il est légitime de se demander si madame Brochu n’a pas fait le choix délibéré d’alimenter une controverse avec le gouvernement. Le cas échéant, reste à savoir ce qui a motivé celle-ci.
Il y a vraisemblablement quelque chose de plus fondamental qu’une prise de bec sur les commerces à un dollar.
Pour l’instant, on reste sur notre faim concernant le choix de Sophie.
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