Le Pacte pour la transition énergétique polarise. À cause de mes fréquentations, quelqu’un va finir par me poser la question à savoir si je l’ai signé. Je m’y prépare du mieux possible, mais, dans mon cas, c’est mal parti. Je possède une BMW X3 2007 qui vient tout juste de basculer au-delà de 200 000 km. Dans sa catégorie, c’est un des véhicules les plus polluants. Même si je la nourri au super sans-plomb.
C’est finalement ma soeur qui a posé la fameuse question: « As-tu signé le Pacte? » Il faut vivre dans un monde parallèle pour ne pas croire que l’environnement devrait être au cœur de la plupart de nos préoccupations économiques, sociales et financières. Mais dois-je pour autant signer le Pacte? Le plus simple serait donc de suivre le mouvement de masse et de le signer. Mais je suis toujours prudent avant d’apposer ma signature sur quel que document que ce soit. Et je n’ai pas beaucoup d’affinité avec les mouvements de masse.
Le Défi une tonne – ça vous dit quelque chose?
Les lecteurs et lectrices les plus âgés se souviendront peut-être du Défi une tonne (DUT) lancé sous le gouvernement de Paul Martin en 2004. C’était le buzz environnemental de l’époque. Les canadiens et les canadiennes étaient appelés à relever le défi de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’une tonne. L’objectif était énorme. Il représentait environ 20 % des émissions de GES du Canada à ce moment. Ce programme a duré deux ans et a coûté 45 millions de $.
On incitait les canadiennes et canadiens à faire plusieurs petits gestes : utilisation accrue du transport en commun, installation de thermostats programmables, compostage des déchets organiques, achat de produits Energy Star, etc. Le sujet avait fait grand bruit à l’époque. Pour en faire la promotion au Canada anglais, les fédéraux avaient fait appel à Rick Mercer, le sympathique animateur de This Hour Has 22 Minutes. On pensait sans doute que l’embauche d’un humoriste devait rendre l’exercice plus amusant. Pour le Canada français, on a choisi Pierre Lebeau alors au faîte de sa popularité à cause de son rôle de Méo dans Les Boys. Ce n’est donc pas d’hier que les artistes prêtent leur concours à d’ambitieux défis.
Et les résultats?
Et qu’a donné ce défi au fait? On ne le sait pas vraiment. Les initiatives et les programmes gouvernementaux ne font que très rarement l’objet d’un suivi ou d’une évaluation. C’est beaucoup trop dangereux politiquement. Mais quand on le fait, c’est habituellement tout croche. Pour ceux et celles qui s’intéressent à la langue de bois bureaucratique, vous pouvez lire le rapport final du défi rédigé en 2006. Pour les plus paresseux, voici un court extrait tiré des conclusions.
« […] L’évaluation a constaté que les principales caractéristiques du phénomène des changements climatiques […] contribuent aux défis uniques de situer les changements climatiques comme une priorité d’action sur le plan individuel. […] La perception voulant que le défi comportait trop d’inconvénients ou exigeait trop de temps, que la participation individuelle n’aidera pas à régler le problème des changements climatiques, qu’il y a peu de place à l’amélioration (c.-à-d. sur le plan de l’efficacité énergétique) et le faible niveau d’intérêt/de préoccupation ont aussi été définis comme des obstacles à l’action.
Pour atteindre le but ultime […] le DUT était confronté à un certain nombre d’obstacles l’empêchant de livrer des réductions des émissions de GES claires et attribuables. […] Diverses difficultés sur le plan de la mesure empêchent un programme comme le DUT de rendre compte des réductions des émissions. On a invoqué, comme principaux facteurs contraignants : l’atteinte d’un consensus sur ce qui est mesuré, comment et par qui, dans un programme fortement dispersé et exécuté par l’entremise de divers partenaires; le risque d’une double comptabilisation; et des problèmes d’attribution. »
Et en finale, une phrase-paragraphe de 123 mots :
« […] Les défis uniques à relever pour faire passer les Canadiens de la sensibilisation à des interventions de réduction des émissions de GES, les inconvénients et les difficultés qu’on juge associés à ces mesures de réduction (p. ex. le besoin d’encouragement pour compenser les coûts potentiels des mesures et/ou accroître leurs avantages), les leçons tirées d’initiatives analogues de changement du comportement (c.-à-d. la Stratégie nationale pour la réduction du tabagisme) et les recommandations courantes de l’OCDE sur l’utilisation plus généralisée d’instruments économiques, de concert avec des instruments réglementaires et autres (c.-à-d. des accords volontaires, l’éducation du public) sont autant de raisons invoquées pour améliorer la rentabilité du but poursuivi, c’est-à-dire encourager les Canadiens à prendre des mesures personnelles pour réduire leurs émissions de GES. […] »
Bon. Je n’ai jamais étudié le mandarin. J’aurais peut-être dû, car ça aurait pu m’aider à comprendre les conclusions du rapport. J’ai pourtant consulté les versions en anglais et en français. Cette dernière m’a donné un solide mal de tête. Dans les deux versions, rien n’est clair. C’est voulu, j’en suis convaincu. Si l’expérience avait été un succès, on aurait su l’exprimer clairement. Il est toujours difficile d’admettre un échec et de trouver les bons mots pour le dire. De toute façon, qui se donne la peine de lire les rapports qui émanent du Sénat?
J’arrive donc à la conclusion que le DUT n’a pas vraiment donné de résultats probants. On ne s’est pas entendu sur ce qui devait être mesuré et de toute manière, on ne savait pas trop quoi et comment le faire. De plus, on ne peut pas vraiment faire état de résultats découlant des actions des masses. Trop compliqué. En somme, le véritable défi du DUT aura été le défi de ne pas savoir comment et de ne pas pouvoir mesurer les réductions conséquentes de GES.
Alors, je le signe ou pas?
Est-ce que j’avais relevé le DUT en 2004? J’ai essayé, un peu. Je me souviens avoir enlevé un pommeau de douche à débit réduit après deux mois d’utilisation. À quoi sert de réduire le débit d’eau de 50 % si on passe le double du temps sous la douche? Je ne voyais pas pourquoi je devais me tiermondiser pour avoir un impact nul sur l’environnement.
Vais-je signer le Pacte sur la transition? Je continue d’y réfléchir. Je ne crois plus à la sempiternelle expression « chaque petit geste compte » même si je l’ai utilisée plus souvent qu’à mon tour dans moult présentations. D’ailleurs, ceci est reconnu explicitement dans le libellé du Pacte qui dit clairement que « …sachant pertinemment que la somme des gestes individuels ne fera pas le poids face à l’ampleur des cibles à atteindre… ». Merci de l’admettre. Mettons donc les efforts là où ça compte.
Mais ce qui me fatigue particulièrement avec le Pacte c’est la suite du libellé qui précise « …que l’action politique est incontournable face à l’urgence. » Je n’aime pas les mouvements de masse. Je l’ai dit plus haut. Je n’aime surtout pas les mouvements de masse à caractère politique. Et je n’aime pas la liste des interventions « politiques » suggérées dans le Pacte. Ça ratisse trop large et à trop vouloir tout régler, on finit par ne rien accomplir du tout.
Cela dit, j’ai beaucoup de respect pour ceux et celles qui trouvent une satisfaction ou un réconfort en signant le Pacte. Il faut maintenant que les bonnes intentions se traduisent par des gestes concrets.
Malheureusement, comme dans le DUT, on ne saura jamais si cela va fonctionner.