Peut-on se passer du pétrole? La question se pose. Par exemple, depuis quelques années, certains dépensent énormément d’énergie pour éliminer le plastique de notre environnement. Les pailles, les sacs, les bouteilles, tous des produits dérivés du pétrole. C’est sale le pétrole, c’est connu. Alors il faut se débarrasser de tout ce qui en découle. À bas les produits pétroliers. C’est ça aussi la transition énergétique.
La paille et la poutre
Bien sûr l’élimination des pailles en plastique est une bonne chose pour l’environnement. Mais rappelons-nous la parabole de la paille et de la poutre. Ça vient de la Bible. Trois versions du discours de Jésus sur la montagne selon les évangiles de Luc, Thomas ou Matthieu. Choisissez celle que vous préférez, elles veulent toutes plus ou moins dire la même chose.
Comment se fait-il qu’on puisse voir la paille dans l’œil du voisin, mais qu’on ne voit pas la poutre dans le nôtre?
Je vais laisser les exégètes discourir sur les nombreuses interprétations possibles de cette parabole. Pour ma part, je retiens ceci : il est risqué de relever les défauts des autres si on ne fait pas d’effort pour corriger nos propres travers.
Bref, ça relève un peu de l’hypocrisie de militer pour l’élimination des pailles si on continue de consommer des centaines, voire des milliers d’autres produits. Et c’est là que le défi devient vraiment intéressant. Se débarrasser d’une paille, c’est assez facile. Déjà avec les sacs de plastique et les bouteilles d’eau, ça se complique.
Pragmatisme
Je sais par expérience que certains lecteurs pensent déjà que je fais ici l’apologie du pétrole. Pourtant non. Je n’appartiens à aucune religion qu’elle soit pro ou anti quelque chose. Surtout pas en matière d’environnement ou de pétrole. Je n’aime pas les dogmes. C’est tout. Je préfère le pragmatisme. Ça permet de voir plus clair. Et surtout de confronter nos propres contradictions.
Des produits pétroliers et des produits dérivés du pétrole, il y en a partout, partout, partout. Pas juste une paille, mais des montagnes de poutres. Il suffit de faire le tour de votre maison, de votre appartement ou de votre lieu de travail pour le constater. Vous pouvez aussi jeter un coup d’œil à l’illustration suivante, ce sera moins long.
Même si vous n’avez pas de doctorat en chimie, vous ne devriez quand même pas avoir de problème à lire la partie de l’illustration en rose, tout en haut. Pas besoin de diplôme particulier non plus pour interpréter la première section en bleu juste en dessous. Que des mots familiers de notre vocabulaire courant.
Vélos, téléphones, produits pharmaceutiques, meubles, jouets, outils de jardinage, matériaux de construction, etc. Tous ces produits contiennent, sous une forme ou une autre un ou plusieurs dérivés du pétrole ou du gaz naturel. Bref, dans l’exploitation du pétrole, il y a plus que de l’essence, du diesel ou du kérozène. Beaucoup plus.
Solutions alternatives
D’accord. On a remplacé les pailles en plastiques par des pailles en carton. Ça fait le travail. Il faut juste boire plus vite, le carton ayant tendance à ramollir dans votre boisson préférée. Et ça laisse un petit goût déplaisant au bout des lèvres en se désintégrant, alors autant expédier l’ingestion du liquide. Mais bon. Il n’y a pas de solution parfaite.
Pour les sacs de plastique, je suis dubitatif. Dans plusieurs villes, il y a des restrictions sur l’usage des sacs de plastique à usage unique. Dans certains cas, c’est strictement interdit. La plupart des commerces ont donc remplacé les sacs minces, considéré à usage unique, par des sacs de 50 microns ou plus d’épaisseur. J’imagine qu’au-delà de 50 microns, le sac devient à usage multiple. Pourtant, je me souviens parfaitement avoir utilisés les sacs minces à répétition pour toutes sortes d’usages.
Est-ce que le fait d’avoir dégainé le micromètre a changé quelque chose? On verra avec le passage du temps. Recyc-Québec a émis des doutes l’an dernier. Selon eux, ce n’est pas l’épaisseur du sac qui compte, c’est son usage, point. C’est sans doute pour ça que la SAQ ne donne plus de sac. Au consommateur de trouver une solution pour trimballer ses bouteilles. Ça semble fonctionner.
Pour les bouteilles d’eau en plastique, je suis plutôt perplexe. Chaque fois que je vois une catastrophe naturelle quelque part, je vois aussi des palettes complètes de bouteilles d’eau en plastique, qui sauvent des vies. J’essaie de ne pas trop penser à quoi ça pourrait ressembler si les sinistrés devaient faire la file avec leurs bocaux de verre ou leurs boîtes de conserve évidées. Et encore faut-il que le camion citerne qui contient l’eau potable puisse se rendre au lieu de la catastrophe.
J’ai aussi souvenir d’une contamination d’eau potable en janvier 2015 à Longueuil. Plus de 300 000 personnes privées d’eau. C’est grâce à l’eau embouteillée que des personnes âgées en résidence ou des enfants dans les garderies et les écoles ont pu étancher leur soif. Pas si simple d’éliminer les bouteilles de plastique n’est-ce pas?
Pas de pétrole, pas de géothermie
Quelqu’un me faisait remarquer récemment que la géothermie n’est peut-être pas aussi verte qu’on le prétend. Il est vrai que le gaz réfrigérant contenu dans la thermopompe, généralement du R410A, est un dérivé des produits pétroliers. C’est un mélange de difluorométhane et de pentafluoroéthane. Et le R410A est un gaz à effet de serre très puissant, 2000 fois pire que le CO2.
Il y a ensuite le liquide caloporteur qui circule dans les centaines de mètres de tuyaux enfouis dans le sol. Du propylène glycol, un dérivé du pétrole. Parlant de tuyaux, je vous laisse deviner de quoi sont fabriqués les tuyaux d’un système géothermique. Il s’agit de polyéthylène haute densité, un autre dérivé du pétrole. C’est un plastique omniprésent dans à peu près tout ce qui nous entoure.
Pour compléter le portrait, ajoutons que les foreuses géothermiques fonctionnent habituellement au diesel. Enfin, plusieurs composantes de la thermopompe sont fabriquées avec des produits finaux dérivés du pétrole.
On pourrait faire un exercice semblable pour toutes les autres formes d’énergie renouvelable, à commencer par les panneaux solaires et les éoliennes. Elles contiennent toutes, à un degré ou un autre des produits dérivés du pétrole.
Confort et anxiété
Force est de constater que le confort moderne repose en grande partie sur l’exploitation du pétrole et du gaz naturel. Comme je l’ai mentionné plus haut, ce n’est pas une question d’être pour ou contre le pétrole. Ce sont les faits. Et ça ne veut pas dire qu’on soit indifférent aux impacts de cette ressource naturelle sur l’environnement.
Bien sûr on pourra peut-être remplacer un jour un combustible dérivé du pétrole par de l’huile de fleur de pissenlit. Mais pour répondre à la demande, il faudra semer des pissenlits sur toute la surface de la planète. Probablement pas réaliste.
Maintenant que le cannabis est légalisé, on pourra aussi remplacer certaines fibres textiles par des résidus de chanvre. Voilà un débouché intéressant. Mais pour répondre à la demande, il va falloir que toute la population fasse sa part. Pas sûr que ça va fonctionner.
Et oui, nous pourrions aussi utiliser plus de cuir naturel pour couvrir nos divans – comme au 19e siècle. Mais comme l’élevage de bœuf a un impact négatif sur l’environnement, il faudra trouver autre chose.
Tant qu’à y être, pourquoi ne pas aussi éliminer les cellulaires, les ordinateurs et tous les autres équipements électroniques. Pour communiquer, nous pourrions tous nous mettre à l’élevage des pigeons voyageurs.
Je comprends de plus en plus le phénomène de l’écoanxiété. Pas simple la vie moderne.
Une chose est sûre. Je ne regarderai plus jamais une paille de la même manière.
Bonjour monsieur Tremblay.
D’abord, merci de me lire. C’est toujours un défi de trouver des sujets qui intéresseront les lecteurs. Comme vous me lisez régulièrement, vous aurez compris que j’étire parfois l’élastique dans mon argumentation. Je suis d’accord avec vous concernant l’utilisation des bouteilles d’eau. Il y a des endroits où ça ne fait aucun sens. Il est aussi vrai que plusieurs prônent l’usage intelligent de celles-ci. Mais il y a aussi plusieurs villes qui adoptent des règlements sur le bannissement mur à mur. Ce n’est pas, à mon avis, raisonnable. Dans le cas présent, c’est une simple question d’offre et de demande. Si le bannissement va trop loin, les manufacturiers de bouteilles risquent de cesser des les produire. Auquel cas nous ne pourrons plus prôner le gros bon sens et la modération et nous devrons trouver des alternatives. Au Danemark, j’ai vu de l’eau “embouteillée” dans des contenants Tetra Pak. Ceux-ci sont recyclable (pas partout) et ils sont à usage unique. Pas simple tout ça.
Merci encore de vos commentaires.
Bonjour monsieur Tanguay,
Je lis l’ensemble de vos articles et j’aime bien. Toutefois, l’article qui parle des produits pétroliers me fais douter sur l’analyse purement factuelle que vous tentez de faire. Concernant notamment les bouteilles d’eau, c’est l’usage de celles-ci dans des lieux où des infrastructures de distribution d’eau potable en bon état et fonctionnant bien qui est problématique. Et non, lors de catastrophes. Je trouve seulement que l’exemple utilisé dissimule l’analyse que vous avez effectuée. C’est l’achat de bouteilles d’eau au restaurant, dans des cafés ou sur des campus universitaires par exemple. Ce qu’on peut lire un peu partout, ce n’est pas l’abolition qui est visée, c’est le gros bon sens et la modération.