Plans quinquennaux: dépenses, investissements et goulag.

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En 1948, Vladimir Golovastikov dirigeait une fabrique de clous à Gzhatsk en Union Soviétique. Gzhatsk est une petite ville située au nord-est de Smolensk. Gzhatsk est la ville natale de Yuri Gagarin, l’astronaute. Pour honorer les prouesses de Gagarin, le soviet suprême a rebaptisé la ville de Gzhatsk « Gagarin » en 1968.

Toujours est-il qu’à Gzhatsk, en 1948, Vladimir Golovastikov était responsable de la mise en œuvre du IVe plan quinquennal de l’Union Soviétique dans sa fabrique de clous. Ce plan mettait l’accent sur les machines-outils, l’industrie chimique, l’énergie, le réseau de transport et, heureusement pour Vladimir, sur l’acier.

Le plan avait fixé des objectifs de production précis pour la petite fabrique de clous de Vladimir. Deux mille tonnes. Vladimir entreprit de fabriquer des clous tel que dicté par le plan. Il a réussi à produire les deux mille tonnes en un temps record.

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Le gouvernement du Québec vise, à terme, la décarbonisation de notre économie. Pardon, il vise la transition énergétique, c’est le terme à la mode. Alors, nous décarbonisons de manière transitoire, et on ne peut surtout plus parler d’optimisation ou d’efficacité énergétique des combustibles fossiles. Oh que non! Pas de pétrole ni de gaz naturel, point à la ligne. On ne parle plus de la bonne énergie à la bonne place. Cette formule marketing n’est plus au goût du jour. Ça ne fait pas propre. On transitionne. C’est un verbe d’action, alors nous agissons.

Afin de poursuivre la décarbonisation du Québec, Transition énergétique Québec (TÉQ) a proposé, au printemps 2018, un plan quinquennal portant sur la transition énergétique. C’est pratique un plan quinquennal, on fixe des objectifs sur une période de cinq ans. Bonsoir la visite, on s’en reparlera en 2023. Mais ce plan quinquennal est celui du précédent gouvernement. Je doute fort que le gouvernement Legault accepte de perdre le contrôle d’un plan de dépenses de 6 695 429 000 $, et ce, pour toute la durée de son mandat. L’avenir nous le dira. La Régie de l’énergie va nous renseigner sur ce sujet sous peu.

On pourrait penser que le problème du plan quinquennal de TÉQ repose exclusivement sur un seul critère, soit la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous n’aurions pas tort, puisque le plan en question ne fixe aucune cible précise de réduction des émissions de GES. Voilà qui est plutôt problématique quand c’est l’objectif que l’on cherche à atteindre.

Personnellement, je trouve que le principal problème, c’est qu’il s’agit d’un plan de dépenses et non d’un plan d’investissements. Il est vrai que devant l’abondance des milliards de $ mis à la disposition de TÉQ, il est normal que ça aveugle. Voir et avoir trop d’argent d’un seul coup, c’est comme ne pas en avoir assez. On ne sait pas trop quoi en faire. Le plus simple, c’est donc de dépenser et vite.

Des pommes et des pommiers

Mais une dépense, ça rapporte une satisfaction temporaire, d’une utilité de courte durée, parfois futile aussi. Il n’y a pas d’effet à long terme. Une dépense ne permet pas de produire d’autres satisfactions futures sans avoir à dépenser à nouveau. Si je m’achète une pomme, j’aurai une satisfaction de quelques minutes quand je vais la manger. Dans une semaine, si je veux revivre la même expérience, je devrai dépenser pour l’achat d’une autre pomme.

À l’opposé, un investissement me permettra de produire de la satisfaction, de façon répétée, et à long terme. Si, au lieu d’acheter une pomme, je décide plutôt d’investir dans l’achat d’un pommier, je n’aurai pas de satisfaction à court terme, mais dans quelques années, je profiterai tous les jours de la satisfaction de manger une pomme, car mon investissement produira des pommes à profusion. C’est mon dividende pour avoir investi plutôt que d’avoir dépensé.

De retour à TÉQ

Le plan quinquennal de TÉQ contient 154 mesures, mais en réalité, si l’on considère les sous-mesures, il y en a environ 250. C’est ambitieux. Très ambitieux. J’ai d’ailleurs fait l’effort de les passer en revue. En regardant l’ensemble de l’œuvre, froidement et méthodiquement, on a comme un malaise. Je m’attendais à y retrouver beaucoup d’investissements. J’ai été très déçu, mais pas vraiment surpris. Le plan directeur de TÉQ montre une abondance de pommes, mais aucun plan pour acheter des pommiers.

À sa lecture, on a aussi la désagréable impression qu’il y a beaucoup de solutions inventées de toutes pièces pour résoudre des problèmes inexistants. Remarquez qu’un tel résultat est tout à fait normal. Les consultants qui ont travaillé avec TÉQ pour identifier les problèmes n’ont pas manqué l’occasion de se planifier d’autres mandats de consultation. Une étude pour analyser ceci, une autre pour étudier cela. Deux ou trois plans quinquennaux, et c’est la Dolce Vita à la retraite.

Le plan quinquennal prévoit des centaines de millions pour coordonner des projets pilotes, souvent pour des choses qui ont déjà été prouvées et éprouvées ailleurs dans le monde ou au Québec. Pour accéder à toutes les études et tous les résultats de ces projets, il suffit d’un ordinateur, de mettre Google ou Yahoo à contribution et de savoir lire l’anglais, car les grandes études internationales sont, la plupart du temps, produites dans la langue de Shakespeare.

Ensuite, le plan comporte des milliards en subventions de toutes sortes. Quasiment un milliard pour subventionner les autos électriques. Plus de 441 millions $ pour les programmes Rénoclimat, Chauffez vert et le crédit d’impôt Rénovert. Trois programmes qui s’empilent les uns sur les autres et qui subventionnent jusqu’à trois fois les mêmes mesures. Un déluge de millions. Non, les chutes du Niagara de la transition énergétique.

On ne présente pas de vision d’ensemble. Un plan, en général, ça nous aide à nous retrouver. Un plan directeur, ça devrait en plus nous diriger non? Dans le cas présent, on dirait que les rédacteurs du plan ont tous travaillé chacun dans leur coin pour ensuite faire un collage de vieux programmes et d’anciennes idées, sans se parler. Avec la triste conséquence que la transition énergétique s’amorce avec un plan directeur sans direction. C’est très prometteur.

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Vladimir a réussi à faire ce qu’on lui avait demandé. Produire deux mille tonnes de clous. Deux mille tonnes de clous de 4 cm, plus précisément. On aurait pu penser que Vladimir aurait produit des clous de différents gabarits et de différentes grandeurs, et pour différents usages. Ça aurait sûrement été utile, des clous de différentes grandeurs. Mais non. Le plan disait deux milles tonnes.

Vladimir a donc produit deux mille tonnes de clous de 4 cm. Il a atteint son objectif. Évidement les contrôleurs soviétiques ne l’ont par vu ainsi. Sous Staline, le sens de l’humour n’était pas toléré. Ils ont envoyé Vladimir Golovastikov réfléchir dans un goulag…pour la durée du prochain plan quinquennal.

Les gens de TÉQ ont réussi à rabouter un plan de dépenses de 6 695 429 000 $ sur cinq ans. Vous me direz que c’est exactement ce qu’on leur avait demandé. Comme Vladimir, on répond aux demandes, mais on réfléchit peu ou pas du tout. Et il n’y a pas de contrôleurs soviétiques au Québec pour encourager la réflexion.

Certaines coutumes se perdent. Dommage.

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