Ça fait un bon moment que j’ai le projet d’écrire un article sur le recyclage. Le sujet est vaste et les angles d’attaque multiples. Entre autres, je m’interroge sur la logique de tout mettre pêle-mêle dans un sac bleu : verre, papier et plastique, et de voir le sac se faire écrabouiller dans un camion à déchets.
On se demande ensuite pourquoi le papier recyclé est contaminé par du verre brisé. Il y a belle lurette que l’Europe a compris qu’il vaut mieux séparer les produits à recycler en amont de la collecte. Certaines villes du Québec commencent à agir de manière conséquente. St-Denis de Brompton, Cowansville, St-Lambert. Bravo! Mais à Montréal…trop compliqué.
En cours de rédaction de mon article, je me suis rappelé avoir écrit, il y a quelques années, une ébauche sur la récupération des feuilles mortes. Je retrouvé l’ébauche et j’ai décidé de recycler. Voici.
Les petits plaisirs d’automne
Un dimanche, je me suis levé de bon matin pour faire quelques travaux autour de la maison : ramassage des feuilles mortes, rangement des chaises et de la table de patio, nettoyage des bacs à fleurs. Il faisait relativement beau, ce qui rendait ces tâches automnales presque agréables.
Ramassage des feuilles mortes. J’aurais dû me douter que les choses ne seraient pas si simples. Après tout, j’habite le Plateau, comme vous le savez, amis lecteurs et amies lectrices. Ici, nous sommes à l’avant-garde des bonnes pratiques environnementales, et rien n’est clair. On encourage l’usage des trottinettes, on pénalise les méchants propriétaires de véhicules, et on réduit la largeur des rues. Bref, nous sommes l’épicentre de la conscience environnementale du grand Montréal. Mais en matière de clarté réglementaire, nous avons des croûtes à manger.
Le dimanche en question, j’en avais profité pour faire le ramassage des feuilles à l’arrière de la maison. J’avais même fait l’effort de ramasser les feuilles dans la ruelle devant mon stationnement. Huit beaux gros sacs orange grand format et j’étais fier de mon travail. Mais désolé aussi de voir que mes efforts contrastaient avec les amoncellements d’ordures et de déchets que mes voisins avaient parsemés un peu partout pendant l’été. Ils y sont d’ailleurs restés jusqu’au printemps suivant.
Obéissance civile
Ce dimanche-là, j’ai rempli deux autres sacs orange avec les feuilles à l’avant de la maison. J’ai failli faire comme mes voisins et les balayer dans la rue. Puis j’ai eu une petite pensée pour l’environnement. Chaque petit geste compte, y paraît, alors j’ai donc posé mon geste pour l’environnement , car j’ai toujours pensé que le civisme était contagieux. J’essaie de montrer l’exemple, mais c’est rarement concluant.
De retour dans la maison, je me suis versé un café pour lire mes journaux. Ma blonde, d’un ton distrait, me demande si je sais quand la ville fait la collecte des feuilles mortes. Euh, non. J’ouvre mon portable et je fais une recherche : plateau-ramassage-feuilles-mortes. Je tombe sur une page du site de la Ville de Montréal qui dit que le ramassage des feuilles sur le Plateau se fera le 26 octobre ainsi que le 2, le 9 et le 16 novembre.
Le site m’apprend aussi que mes feuilles doivent être déposées dans des boîtes de carton, des poubelles, ou bien, je vous le donne en mille, des sacs de plastique! Je répète : sacs de plastique! Rien de plus, rien de moins. Parfait, mes sacs de plastiques orange pleins de feuilles mortes seront sur le trottoir le 16.
Si tout était si simple
Une heure plus tard, alors que je naviguais de nouveau sur Internet, j’ai été pris d’un doute. Comment se pouvait-il que j’aie trouvé la réponse à ma question sur le site de la Ville de Montréal dès mon premier clic. Impossible. J’ai donc refait la recherche, et j’ai cliqué sur le troisième lien. Aaah! Page Internet différente. Les dates des collectes sont les mêmes, mais cette fois, on y précise que les sacs de plastique sont interdits sauf s’ils sont compostables et certifiés BNQ. Pendant un instant, j’étais rassuré. Montréal, capitale mondiale de la confusion, est égale à elle-même.
Je travaille dans un secteur qui m’oblige à connaître les normes alors je sais donc ce que BNQ veut dire. Mais j’entretiens des doutes à savoir si le commun des mortels en a la moindre idée. Et puis, exiger que les sacs soient certifiés BNQ ne veut absolument et strictement rien dire. Il faut préciser le numéro de la norme. Nouvelle recherche Internet : sacs-compostables-BNQ. Talalam! Plein de liens vers le site de la Ville de…Sherbrooke. Rien pour Montréal.
Sherbrooke précise que les sacs compostables doivent être certifiés selon la norme BNQ 9011-911-2007. Le site de la Ville de Sherbrooke explique en moult détails pourquoi il ne faut pas utiliser des sacs recyclables pour les feuilles mortes. On y précise pourquoi il est interdit d’utiliser un sac compostable pour le recyclage et plus encore. Une véritable encyclopédie de la gestion des déchets organiques.
Magasinage de sacs 101
Je cours à ma quincaillerie pour acheter des sacs compostables certifiés BNQ 9011-911-2007. Sur la boîte, je peux lire « 100% compostable – sacs biodégradables ». Là je suis confus. Le site de la Ville de Montréal est silencieux concernant la biodégradabilité des sacs autant que celui de la Ville de Sherbrooke. Et puis les sacs de mon quincailler sont certifiés selon la norme ASTM D6400 – aucune mention de la norme BNQ. J’en achète néanmoins une boîte de 10.
Les sacs sont petits, à peu de choses près de la taille d’un sac à sandwich. On est loin des gros sacs orange super résistants. Ce doit être parce que la Ville de Montréal exige que le poids des sacs de feuilles mortes ne dépasse pas 25 kg. À cette taille, aucun danger.
Je me rends ensuite chez mon épicier de quartier. Là, j’y trouve des sacs certifiés BNQ 9011-911-2007. Mais toujours aussi petits que les sacs à sandwich de mon quincailler. J’encourage mon épicier et j’en achète une autre boîte de 10.
Pelleteux de feuilles mortes
En retournant chez moi, je suis témoin d’une opération de ramassage de feuilles mortes par les employés de la Ville. Trois cols bleus, un camion 10 roues, une pépine et une pelle. Pendant que les chauffeurs des deux véhicules sont bien confortablement assis, un col bleu met les feuilles mortes, lentement et à la pelle, dans la pépine. Après 10 ou 15 minutes, la pépine déverse l’équivalent de deux sacs de feuilles mortes – pas beaucoup plus – dans la boîte du camion.
Nonchalant, le pelleteur de feuilles monte ensuite dans le camion et les véhicules disparaissent par l’Avenue du Mont-Royal. Quelqu’un quelque part a nolisé ces véhicules et a envoyé trois cols bleus ramasser deux sacs de feuilles mortes. Je n’ose même pas penser aux coûts de cette opération ni aux émissions de GES conséquentes.
J’avoue qu’une telle opération fait réfléchir. Surtout immédiatement avant que j’entreprenne le transfert de mes feuilles mortes de mes magnifiques sacs orange vers les sacs à sandwich. Ça va être long. Me traverse l’esprit de tout vider dans la rue et d’appeler le service du ramassage spécial de la Ville de Montréal en renfort.
Je pense aussi à mettre mes sacs dans la voiture et d’amener tout ça à l’écocentre de mon quartier. Mon instinct me dicte toutefois de retourner sur Internet. Bonne idée. J’y apprends que l’écocentre est fermé le dimanche à compter du 15 octobre, mais ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h. Ben oui. Je n’ai que ça à faire la semaine entre 10h et 18h, aller porter des sacs de feuilles mortes à l’écocentre.
Et le samedi, ai-je vraiment envie de faire la file pendant 90 minutes dans ma voiture pour aller porter mes feuilles mortes dans un container? Pas vraiment. Avez-vous idée de la quantité de CO2 que ma voiture émet pendant 90 minutes à tourner au ralenti? Probablement plus que la décomposition de dix sacs de feuilles mortes, mais probablement moins que l’opération de ramassage par la ville.
Désobéissance civile?
J’ai aussi pensé prendre les sacs et les déposer devant la porte de mon maire d’arrondissement. Mais je me suis dit qu’avec toutes les idées de génie qui circulent ces temps-ci sur le Plateau, le snoreau doit avoir installé des caméras de surveillance. Et puis, la désobéissance civile, il faut faire ça en groupe. Je n’ai pas l’énergie d’essayer de convaincre mes concitoyens du Plateau de s’y mettre. Mais ça pourrait bien finir par se produire.
C’est encore une fois mon sens civique qui a dicté ma conduite. J’ai donc transféré mes feuilles mortes dans les sacs à sandwich compostables. Évidemment, le deuxième sac s’est déchiré sur toute sa longueur dès que j’y ai poussé une poignée de feuilles. Ma pression a monté. Ça m’a pris une heure, mais je suis finalement arrivé à bout de mon projet.
Dans les années suivantes, la Ville de Montréal, après avoir publié de multiples messages confus sur la biodégradabilité, le recyclage et le compostage, semble avoir adopté les sacs de papiers. Feuilles mortes – sacs de papier – collecte sélective. Fallait y penser!
Que de temps et d’énergie perdus. Ça aide pourtant à comprendre un peu pourquoi nous continuons à écrapoutir du verre avec du papier et du plastique.
En matière de réglementation, le jeu des essais et des erreurs coûte cher. Comme le dit l’adage, mieux vaut prendre son temps pour bien faire les choses que de les faire trop rapidement et se tromper.
C’est d’autant plus vrai pour les questions énergétiques et environnementales. L’urgence d’agir ne doit pas se faire au détriment d’une réflexion approfondie.
On a voulu régler la « crise de l’enfouissement » en facilitant le recyclage pour tous…. Alors qu’on avait des bennes qui séparaient le verre et le reste dans les années 80 et des cloches pour le verre à plusieurs endroits en ville, aujourd’hui on jette tout en vrac dans le bac. On n’aura jamais aussi bien appliqué le « trash in, trash out ». Nos penseurs ont ainsi accru les volumes détournés de l’enfouissement mais ont aussi généré des tonnes de matériau contaminé. On a sous-investi dans la technologie en s’appuyant sur des travailleurs qui oeuvrent dans des conditions déplorables ici et dans le tiers-monde. On atteindra peut-être l’objectif de mettre fin à l’enfouissement mais on aura aussi fait la démonstration d’une absence crasse de vision et de volonté d’investir là où c’est requis.
On a voulu régler la « crise de l’enfouissement » en facilitant le recyclage pour tous…. Alors qu’on avait des bennes qui séparaient le verre et le reste dans les années 80 et des cloches pour le verre à plusieurs endroits en ville, aujourd’hui on jette tout en vrac dans le bac. On n’aura jamais aussi bien appliqué le « trash in, trash out ». Nos penseurs ont ainsi accru les volumes détournés de l’enfouissement mais ont aussi généré des tonnes de matériau contaminé. On a sous-investi dans la technologie en s’appuyant sur des travailleurs qui oeuvrent dans des conditions déplorables ici et dans le tiers-monde. On atteindra peut-être l’objectif de mettre fin à l’enfouissement mais on aura aussi fait la démonstration d’une absence crasse de vision et de volonté d’investir là où c’est requis.