Plus tôt ce mois-ci, un événement très important s’est produit dans le monde de l’énergie. Je ne parle pas ici de l’annonce du maire de New York qui vient de tomber en amour avec l’hydroélectricité québécoise, ni de l’annonce de l’achat de Taxelco par Pierre-Karl Péladeau.
Je fais référence à quelque chose d’autrement plus significatif pour l’avenir de notre planète. Quelque chose qui devrait nous faire réfléchir. Quelque chose qui est passé sous le radar médiatique. Et quelque chose qui devrait forcément nous obliger à mettre en perspective la portée de tous les efforts que nous pensons utiles pour la transition énergétique.
Avant de poursuivre votre lecture, je vous invite à regarder le graphique suivant avec très grand soin.
Transition énergétique planétaire? Pas sûr.
Ce graphique montre un historique et une prévision de la demande mondiale de différentes formes d’énergie de 1990 à 2030. Si vous ne l’avez pas remarqué, portez une attention particulière aux trois premières chandelles du graphique. Celles-ci montrent la demande pour les produits pétroliers, le gaz naturel et le charbon – trois sources d’énergie principalement responsables des émissions de gaz à effet de serre. Grosso modo, on voit clairement que la demande de ces trois formes d’énergie est en croissance soutenue depuis le début des années 1990 et qu’elle poursuivra cette tendance à l’horizon 2030.
Quelques constats. D’abord, le pétrole représente un peu plus de 30 % de la demande mondiale d’énergie et il maintiendra ce statut au moins jusqu’en 2030. Ensuite, la croissance dans le recours à d’autres formes d’énergie moins polluantes comme le nucléaire, l’hydroélectricité, le solaire ou l’éolien à l’échelle planétaire fera à peine baisser la proportion des produits pétroliers dans la demande globale d’énergie. Mais en termes absolus, cette demande va continuer à augmenter. Sérieusement.
Considérons maintenant le graphique suivant.
Celui-ci propose une illustration de la demande globale de produits pétroliers raffinés et autres produits chimiques dérivés. On remarque que la demande globale anticipée pour ces produits demeurera essentiellement stable pour l’Amérique du Nord, l’Amérique latine et l’Europe. Ces prévisions nous montrent aussi que la demande pour ces produits sera forte et croissante en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie.
On peut toujours prétendre que ces prévisions ne sont pas réalistes puisqu’elles sont produites par la plus grande société pétrolière au monde. Je ne veux certainement pas faire ici un débat de prévisionnistes. Ce qui compte le plus, à mes yeux, c’est le portrait global de ces prévisions. Elles permettent de prendre le recul nécessaire pour analyser l’état de la situation à l’échelle de la planète entière. C’est déprimant.
Ce que je vois, c’est que les pays africains et les économies asiatiques vont nécessairement poursuivre leur croissance démographique. Cette augmentation de la population va entraîner en développement économique conséquent qui s’appuiera forcément sur une demande accrue d’énergie. En tant qu’occidentaux, nous sommes très mal placés pour dire à qui que ce soit ailleurs dans le monde de ne pas vouloir améliorer son confort social et économique. Le faire serait d’une arrogance infinie.
Soyons honnêtes et réalistes, et constatons que tous les efforts que nous déployons en matière de transition énergétique n’auront absolument aucun impact à l’échelle mondiale. Désolé, mais je ne vois aucune autre conclusion possible. La transition énergétique est une lubie de pays riches. Le hic, c’est que nous oublions souvent que la planète est plus vaste que le pourtour de notre nombril.
À qui la faute?
Le 1er avril 2019, la société pétrolière ARAMCO a publié un prospectus en vue d’emprunter 10 milliards de dollars sur les marchés mondiaux des capitaux. ARAMCO est la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures. Le 9 avril 2019, l’entreprise aura finalement bouclé pour 12 milliards de dollars d’obligations alors que la demande dépassait les 100 milliards de dollars. 1 2 Tout ça pour des titres obligataires d’une société pétrolière. En clair, les marchés financiers se sont arrachés ces obligations avec une demande dix fois plus forte que l’objectif recherché. Et les marchés financiers sont très fortement alimentés par les fonds de pensions des citoyens des pays riches et développés.
ARAMCO est la plus grande société pétrolière au monde avec une part de marché autour de 13 %. Son chiffre d’affaires annuel dépasse les 350 milliards de dollars. Elle vend son pétrole un peu partout dans le monde mais principalement sur les marchés asiatiques.3
Certains pourraient arguer qu’ARAMCO a publié des prévisions de demande de produits pétroliers susceptibles de donner un portrait favorable en vue de son émission d’obligations. Peut-être. Mais l’appétit des marchés financiers pour ces obligations ne ment pas. Quand on se bouscule au portillon pour obtenir quelque chose, c’est parce que l’on est confiant que le placement va rapporter. Et à long terme, bien au-delà de 2030.
L’Arabie Saoudite trône au sommet des réserves mondiales de pétrole. 4 Et quand on regarde les principaux marchés d’exportation de ce pays, on peut difficilement penser que son pétrole va rester dans le sol. Ce scénario n’arrivera tout simplement pas. À savoir si c’est un scénario souhaitable, chacun peut tirer ses conclusions. Mais c’est sans doute le plus plausible.
En matière de transition énergétique, il va falloir retourner à la planche à dessin et imaginer quelque chose de plus transcendant. À commencer par ce qu’on croit être efficace et pertinent, ici, au Québec.
Notes
- https://www.reuters.com/article/us-aramco-bond-demand/aramco-sells-12-billion-bonds-out-of-record-100-billion-demand-idUSKCN1RL0NF
- https://www.cnbc.com/2019/04/09/saudi-aramco-bond-sale-investors-flock-to-worlds-most-profitable-firm.html
- https://www.saudiaramco.com/
- https://www.globalfirepower.com/proven-oil-reserves-by-country.asp