Il y a eu deux débats intéressants concernant la tarification de l’électricité depuis quelques semaines. Au Québec, le prix des électrons est une question sensible. L’électricité serait gratuite que certains trouveraient le moyen de s’en plaindre. Mais on peut se réjouir du fait que nous avons les tarifs parmi les plus bas en Amérique du Nord.
Le premier débat s’est produit lorsque la Régie de l’énergie a approuvé les hausses tarifaires pour la période débutant le 1er avril 2019. Michel Girard du Journal de Montréal a argué que l’augmentation était de 2,9%.1 Le président d’Hydro-Québec, Éric Martel, a invoqué la fausse nouvelle en affirmant que l’augmentation n’était que de 0,9%.2
Il y a ensuite eu le dépôt du projet de loi 34. Celui-ci prévoit le gel des tarifs d’électricité du 1er avril 2020 au 31 mars 2021. Le gel sera suivi d’augmentations correspondant à l’inflation pour les quatre années suivantes. Plusieurs se sont scandalisés de cette situation et ont affirmé que les hausses pourraient être plus faibles que l’inflation. En effet, on croit que, depuis 15 ans, la fixation des tarifs par la Régie de l’énergie a contenu la hausse sous l’inflation.
Voyons voir.
Michel Girard vs Éric Martel
Dans le malentendu entre Michel Girard et Éric Martel, tous les deux ont un peu tort et tous les deux ont un peu raison. Considérant les différentes composantes qui entrent dans la tarification de l’électricité, la question ne se résume pas à un seul chiffre.
On doit d’abord tenir compte des frais d’accès au réseau. Notons ici que le prix de 40,64 cents par jour n’a pas changé depuis… 2004! Il y a ensuite un prix du kWh pour un premier bloc de consommation d’électricité. Finalement, un prix plus élevé pour un deuxième bloc de consommation. Ce dernier correspond au total de la consommation mensuelle moins celle du premier bloc.
Pour analyser la situation objectivement, j’ai entré ma consommation d’électricité des trois dernières années dans un chiffrier Excel. Premier constat intéressant : en 2016, en juillet et en août, ma consommation était suffisamment élevée pour que je dépasse le seuil de consommation du tarif du premier bloc. Pourquoi? Parce que j’ai une belle thermopompe qui me tient au frais pendant l’été. Ainsi, j’avais quelques centaines de kWh qui étaient facturés au tarif le plus élevé.
Avec la nouvelle structure tarifaire qui fait passer le seuil du premier bloc de consommation de 36 kWh/jour à 40 kWh/jour, toute ma consommation de juillet et août se fait maintenant au tarif du premier bloc. En fait, j’ai observé ce phénomène en 2017 quand le seuil du premier bloc est passé de 30 kWh/jour à 33 kWh/jour le 1er avril 2017. Même constat en 2018 quand le seuil est passé de 33 kWh/jour à 36 kWh/jour le 1er avril 2018.
Tarif ou facture?
Pour être clair, ce qui importe, ce n’est pas le tarif du kWh. Ce qui compte, c’est le total de la facture annuelle. Celle-ci reflète vos habitudes de consommation, les propriétés thermiques de votre habitation et la quantité d’électroménagers qui s’y trouvent.
Ainsi, l’augmentation de votre facture pourrait être de 0,95%, celle de votre voisin de 2,4%. Jean-François Cliche du journal Le Soleil, est arrivé à 1,1 %.3 J’ai fait le calcul pour ma résidence et j’arrive à une augmentation de 1,9 %, pile-poil entre les protagonistes Girard et Martel : match nul donc.
Gel des tarifs et inflation
La question des augmentations reliées à l’inflation donne lieu à des analyses et à des résultats surprenants. Pour étudier cet enjeu, j’ai pris ma consommation d’électricité mensuelle de l’année 2018 déjà entrée dans un chiffrier Excel et je l’ai reproduite pour chacune des années à partir de 2004. Ainsi, j’ai établi une consommation de référence stable annuellement sur 16 ans.
En procédant de la sorte:
- on élimine les effets des fluctuations de température d’une année à l’autre;
- on suppose qu’aucune mesure d’efficacité énergétique n’a modifié le profil de consommation;
- on pose l’hypothèse que nous avons les mêmes appareils électroménagers pour la période de 16 ans;
- on suppose aussi que le nombre d’occupants demeure le même.
Bref, on garde constants les facteurs qui influencent la consommation d’électricité, sauf les tarifs. C’est ce qui nous permet de faire une analyse de sensibilité de la consommation d’électricité pour ne tenir compte que des changements tarifaires. J’ai appliqué les changements de tarif à chaque mois pour les années 2004 à 2019 et pour chacun des blocs de consommation. Évidemment, les hausses ont été appliquées au premier avril, comme il se doit.
Enfin, j’ai aussi tenu compte des changements dans les seuils pour le calcul des blocs de consommation des deux tranches tarifaires. Pour bien faire les choses, j’ai également tenu compte des différents taux de la TPS et de la TVQ au cours de la période. Tant qu’à faire dans le détail et pour ne rien oublier, j’ai même tenu compte des années bissextiles. J’ai donc ajouté une journée en février en 2004, 2008, 2012 et 2016.
Quelques constats intéressants
Entre 2004 et 2018 :
- Les frais d’accès au réseau sont restés inchangés à 40,64 cents/jour pour toute la période soit une augmentation de… 0 %.
- Le seuil de consommation du premier bloc a été de 30 kWh/jour de 2004 à mars 2017. Il est passé à 33 kWh/jour le premier avril 2017, à 36 kWh/jour au premier avril 2018 et à 40 kWh/jour au premier avril 2019.
- Du mois d’avril 2008 au mois de mars 2013, le tarif du premier bloc est resté quasi stable passant de 5,40 cents/kWh à 5,41 cents/kWh. Le tarif de ce bloc a même diminué en 2011 et 2012.
- Le tarif du deuxième bloc est aussi demeuré à peu près stable de 2009 à 2012.
Et voici les surprises :
- L’augmentation du tarif du premier bloc de consommation n’a dépassé l’inflation que six fois sur la période de 16 ans.
- Le tarif du premier bloc de consommation a augmenté de 19,4 % entre 2004 et 2019.
- L’augmentation du tarif du deuxième bloc a dépassé l’inflation 10 fois sur 16 ans.
- Le tarif du deuxième bloc de consommation a augmenté de 46,2 % sur la même période.
Tous ces facteurs tarifaires combinés ont fait augmenter ma facture annuelle d’électricité de 33,9 % entre 2004 et 2019, toutes choses étant égales par ailleurs.
Et enfin, toujours pour la même période de 2004 à 2019, l’indice des prix à la consommation4 a augmenté de, talalam, 23,1 %.
Illusions des baisses de tarif
Je dois avouer qu’en faisant cet exercice, je souhaitais démontrer que les tarifs d’électricité avaient augmenté moins que l’inflation de 2004 à 2019. Il est vrai que si on regarde l’augmentation du premier bloc à 19,4 % on constate une hausse moindre que l’inflation. L’augmentation du tarif du deuxième bloc à 46,2 % laisse croire que les tarifs ont augmenté au delà de l’inflation. Comme il a été mentionné précédemment, le fait que les frais d’accès au réseau sont demeurés inchangés pendant 16 ans laisse également croire que les augmentations de tarif ont été sous l’inflation.
Je résume. Entre 2004 et 2019 :
- augmentation de ma facture d’électricité : 33,9 %;
- augmentation de l’indice des prix à la consommation : 23,1 %.
Comme plusieurs experts et analystes, j’étais convaincu que la Régie de l’énergie avait, au fil des ans, accordé des augmentations de tarif en deçà de l’inflation. Nous avions tous tort. L’erreur a été de s’attarder aux détails plutôt qu’à l’ensemble de l’œuvre : la facture totale. Mea culpa.
Projet de loi 34
Ceci expliquant cela, on comprend mieux l’intention du gouvernement de ne plus recourir annuellement à la Régie de l’énergie pour la détermination des tarifs d’électricité. C’est l’essence même du projet de loi 34: geler les tarifs en 2020 et limiter les hausses à l’indice des prix à la consommation pour les 4 années suivantes.
Au prochain rendez-vous avec l’électorat, le gouvernement de François Legault pourra prétendre avoir réellement limité les hausses tarifaires à l’inflation. Il dira la vérité.
Reste à voir maintenant si c’est la bonne manière de donner à Hydro-Québec les ressources financières dont elle aura besoin. Je cite Hydro-Québec en 2004 :
« Les tarifs constituent un signal qui permet au client d’être informé des coûts engagés pour répondre à sa demande. La conception des différents tarifs consiste à refléter les coûts du service entre leurs composantes fixes et variables afin de traduire les particularités du coût du service par catégorie tarifaire. » 5
Donc, en fixant les tarifs selon l’inflation, on peut supposer que ce signal de prix est brisé et que le client sera mal informé des coûts engagés pour répondre à sa demande.
Si jamais les ressources financières ne sont pas au rendez-vous pour répondre à cette demande, l’argent viendra forcément d’une réduction de la redevance versée à l’actionnaire.
Notes
- https://www.journaldemontreal.com/2019/04/26/la-vraie-hausse-des-tarifs-dhydro-est-de-29
- https://www.journaldemontreal.com/2019/04/29/lettre-a-eric-martel-pdg-dhydro-quebec
- https://www.msn.com/fr-ca/finances/economie/v%C3%A9rification-faite-la-%C2%ABvraie%C2%BB-hausse-des-tarifs-d%C3%A9lectricit%C3%A9/ar-AAAQAsR
- Plus précisément, il s’agit de l’indice moyen d’ensemble, pour le Québec, des prix à la consommation, sans les boissons alcoolisées, les produits du tabac et le cannabis récréatif, ce même indice qui sera utilisé pour les augmentations de tarifs selon le projet de loi 34.
- Hydro Québec Distribution. Demande R-3541-2004. HQD-1 Document 1. Page 6 de 13 »
Bravo pour l’exposé. Il serait très instructif de faire la même étude sur chaque enveloppe budgétaire versus les taxes et impôts versés par les Québécois. Où vont tous ces argents?
Et, un autre exposé sur les argents versés au Fédéral par le Québec et les ristournes du Fédéral pour le Québec.
Nous avons les tarifs parmi les plus bas en Amérique du Nord. C’est peut-être vrai mais tel n’est pas le contrat social de René Lévesque qui était le tarif qui soit le plus bas possible, identique sur tout le territoire québécois, pour développer l’économie québécoise. Pas le tarif le plus bas au Canada, en Amérique du Nord ou… Non. Le tarif le plus bas possible. Hydro-Québec est la propriété des Québécois, que tous les Legault du Monde se le tiennent pour dit. Privatiser Hydro-Québec , même en partie, c’est une traitrise à la nation. Ce sont nos taxes et nos impôts qui, en plus de nos comptes d’électricité, ont payé la construction des barrages même lorsque ce dernier était de trop. Tout ça le plus souvent sans payer de justes redevances aux autochtones. Nous comparer aux autres est une très mauvaise idée. Se fier sur les tarifs internationaux d’énergie est aussi une très mauvaise idée. Ce n’est pas le plus bas tarif possible.