Pour le commun des clients hydro-québécois, la question des trop-perçus se résume à une chose : Hydro-Québec leur doit de l’argent. La vaste majorité de la clientèle ne sait pas trop pourquoi. La quasi-totalité de cette clientèle sait encore moins en quoi consiste ces trop-perçus et comment ils ont été calculés. C’est tellement méandreux qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits.
Pour l’essentiel, cette question n’intéresse qu’une poignée d’initiés. D’abord, il y a les individus et les organismes qui interviennent dans les causes tarifaires d’Hydro-Québec Distribution à la Régie de l’énergie. Ensuite, quelques experts en tarification de l’énergie. Finalement, une poignée de théoriciens et chercheurs universitaires. Je les connais à peu près tous par leur prénom – moi qui suis plutôt reconnu pour ne pas avoir la mémoire des noms : c’est tout dire du peu de personnes en cause.
Chapeau pour les stratèges
Le gouvernement du Québec fait un pari calculé et, je l’avoue, fort habile. Il a en quelque sorte réussi à hypnotiser la population. J’entends déjà les discussions autour des BBQ cet été.
— Roger, tu vas faire quoi avec ton remboursement d’Hydro-Québec?
— Je l’sais pas trop là. J’ai envie de m’acheter une nouvelle tondeuse à gazon électrique. Ma vieille tondeuse à gaz pollue trop. Ça va être bon pour l’environnement. J’en ai vu une à deux-cents piasses chez RONA. Pis toé Jules?
— Mon plus jeune a besoin d’une nouvelle paire de souliers pour le soccer. Y grandit vite, le p’tit vlimeux.
Ce que la plupart des électeurs retiendront de cette histoire, c’est que les tarifs d’électricité sont déterminés par la Régie de l’énergie. On conclura facilement que si nous avons trop payé pendant plusieurs années, c’est forcément la faute de la Régie de l’énergie. Il est donc tout à fait normal d’empêcher la Régie de l’énergie de continuer d’appauvrir le bon peuple par le biais des factures d’électricité.
Il y a faute, le coupable a été identifié, et le verdict est tombé. Dans le fond, tout ce que comprend le citoyen type, c’est qu’on lui doit de l’argent et que le gouvernement prend les moyens pour lui redonner cet argent. C’est tout simple. Le gouvernement a déjà gagné la bataille de l’opinion publique.
Le projet de loi 34
Depuis longtemps, Hydro-Québec Distribution dépose sa demande tarifaire devant la Régie de l’énergie à l’été pour les augmentations du 1er avril de l’année suivante. La Régie tient des audiences publiques lors desquelles des intervenants questionnent le bien fondé des demandes, proposent des modifications et suggèrent de nouveaux programmes.
Toutes ces idées sont brassées pendant quelques mois. Dire que toutes les prestations des intervenants sont pertinentes serait exagéré. Affirmer qu’Hydro-Québec détient la science infuse en matière de tarification ne serait pas exact non plus. La Régie elle-même a ses propres failles. Les intervenants embêtent-ils parfois Hydro-Québec? Probablement. Mais dans l’ensemble, le débat est sain et surtout transparent.
Pour encadrer le remboursement des trop-perçus, le gouvernement devra modifier les règles de détermination des tarifs de l’électricité. Des modifications législatives sont nécessaires. Qu’à cela ne tienne, tout est bien expliqué dans le projet de loi 34, Loi visant à simplifier le processus d’établissement des tarifs de distribution d’électricité. 1
Grosso modo, ce projet de loi soustrait la détermination des tarifs d’électricité de l’autorité de la Régie de l’énergie pour les cinq prochaines années. Pour 2020, il y aura un gel des tarifs. Les hausses tarifaires suivront l’inflation pour les années 2021 à 2024. Ça, c’est la théorie. Dans la pratique, il faudra voir comment le tout va se traduire. Rien n’est immuable dans un tel horizon.
L’inflation ou les besoins?
On pourra toujours prétendre qu’à long terme, les tarifs d’électricité ont à peu près toujours suivi la courbe de l’inflation. Peut-être. Rappelons-nous seulement que la détermination des tarifs d’électricité n’a pas grand chose à voir avec l’inflation.
Les tarifs d’électricité sont déterminés en fonction des coûts d’approvisionnement d’Hydro-Québec Distribution. Ils reflètent ensuite les besoins financiers pour l’entretien et l’expansion du réseau de distribution. Cela n’a rien à voir avec l’inflation.
Par exemple, les hausses des tarifs des dernières années reflètent, en partie, l’achat obligatoire par Hydro-Québec Distribution de l’énergie éolienne produite au Québec. Et le coût d’acquisition n’a rien à voir avec l’inflation et encore moins avec la Régie de l’énergie.
Supposons aussi que le Québec connaisse deux ou trois hivers consécutifs avec du froid intense. Évidemment on fera les traditionnels appels à tous pour baisser les thermostats. Mais Hydro-Québec Distribution devra aussi s’approvisionner à fort prix sur le marché de court terme. Ceci aura forcément un impact sur son bilan.
Pour compenser, Hydro-Québec devra soit verser moins de dividendes au gouvernement, soit couper dans l’entretien de son réseau ou faire des économies ailleurs dans ses opérations. Encore ici, aucun rapport avec l’inflation.
Une Régie de l’énergie affaiblie
Il fut un temps où la haute direction d’Hydro-Québec paradait chaque année en commission parlementaire pour justifier les hausses des tarifs d’électricité. Cette approche a donné lieu à beaucoup d’ingérence politique. La détermination des tarifs était devenue une arme politique aux mains du parti au pouvoir. Le processus était hermétique, plein de cachoteries politiques, et, en pratique, un véritable cirque.
Pour mettre fin à ce spectacle désolant, les élus ont finalement opté pour renvoyer les causes tarifaires d’Hydro-Québec à la Régie de l’énergie. Cette approche visait à assurer une plus grande transparence dans la détermination des tarifs. Elle avait aussi pour objectif de s’assurer que ceux-ci reflètent les besoins financiers du distributeur d’électricité pour l’entretien et l’expansion du réseau de distribution.
Certains se désolent de constater que les pouvoirs de la Régie de l’énergie sont minés par le projet de loi 34. Pour le gouvernement, il s’agit d’une manière subtile de faire une pierre deux coups. Sous prétexte de remettre 1,5 milliard de dollars dans les poches des clients d’Hydro-Québec, le gouvernement ajoute une arme dans son arsenal politique : le contrôle direct sur les augmentations des prix de l’électricité. Bien joué.
De la suite dans les idées
Le gouvernement de Philippe Couillard avait déjà soustrait de l’autorité de la Régie de l’énergie des pans entiers du plan directeur de Transition énergétique Québec. Pourtant, lors d’une audience publique digne de ce nom, il aurait été fort probablement possible d’identifier toutes les failles de ce plan directeur. Et elles sont très nombreuses. De plus, ce plan directeur contient plusieurs mesures et programmes qui ont des impacts sur les profils de consommation d’électricité et, par ricochet, sur la détermination des tarifs d’électricité.
Sur ce point, j’offre un conseil aux députés libéraux : gardez-vous une petite gêne au moment de critiquer le gouvernement Legault. Le projet de loi 34 ne fait que poursuivre le travail d’affaiblissement de la Régie de l’énergie amorcé sous le gouvernement Couillard.
Une solution à court terme ou de courte vue?
Le projet de loi 34 vise la simplification du processus d’établissement des tarifs de distribution de l’électricité. Le gouvernement jonglait avec la patate chaude des trop-perçus et il devait trouver une solution. Cependant, c’est la députée caquiste Chantal Soucy, alors dans l’opposition, qui avait fait bouillir l’eau de la marmite en réclamant un remboursement des trop-perçus dès 2017.2
La solution retenue par le gouvernement pour régler la question des trop-perçus soulagera les relationnistes d’Hydro-Québec. Depuis quelques mois, ceux-ci sont appelés à faire beaucoup de patinage artistique sur une glace très mince. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient avec la chorégraphie qu’on leur a imposée. Ils auront un répit. Il faut dire que depuis son élection à l’automne 2018, le gouvernement a bien entretenu la confusion dans ce dossier.3
Il faudra un jour ramener une logique économique autre que l’utilisation de l’inflation comme barème pour l’établissement des tarifs d’électricité. Cela se fera sans doute dans un horizon qui dépasse la portée actuelle du projet de loi 34; ou peut-être avant, qui sait? L’inflation n’est pas forcément le meilleur outil pour dégager les ressources financières nécessaires à l’entretien et à l’expansion des réseaux de distribution d’électricité. Pas plus d’ailleurs que pour équilibrer les tarifs en fonction des coûts d’approvisionnement.
Jouer avec les lois… et avec le feu
À court terme, contrôler les tarifs d’électricité en jouant avec les lois peut être pratique. Mais si jamais il y a du sable dans l’engrenage économique – ce qui devient de plus en plus vraisemblable – une Régie de l’énergie compétente et transparente peut aussi rendre de très grands services politiques.
Sans jouer avec le feu, le pari du gouvernement de faire un all-in avec l’inflation pourrait lui réserver de très mauvaises surprises. Il est toujours dangereux de jongler avec des grenades en sautant sur une jambe dans un champ de mines.
J’espère et j’ose croire que le projet de loi 34 n’est pas le début du commencement d’un soupçon d’idée de privatisation d’Hydro-Québec. Le cas échéant, une Régie de l’énergie sans mordant serait bien vue des investisseurs. On jase…