Utilisation rationnelle de l’énergie et magasinage

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En marchant sur une rue du Plateau Mont-Royal au début de l’été, j’ai vu un camion de FedEx, un de Purolator, un de UPS, un de Postes Canada et un de Dicom. Cinq camions de livraison en même temps sur un bout de rue résidentielle de 325 mètres. De beaux gros camions qui carburent au diésel pour livrer des enveloppes et des colis, sauf un qui roule au propane. M’est alors venu la réflexion que je n’en voyais pas autant et aussi souvent avant, de ces camions de livraison. Mon instinct me dit aussi que d’un point de vue de l’utilisation rationnelle de l’énergie, ça ne tient pas.

De la distanciation physique à la distanciation commerciale

Notre rapport au magasinage a bien sûr changé avec la pandémie. Pendant des semaines, on nous a dit de rester chez-nous. Dans l’adversité, l’être humain déploie une capacité d’adaptation inouïe. Si on ne peut plus aller au magasin, faisons donc venir le magasin à nous. C’est tout simple.

Pourquoi perdre du temps pour aller visiter un commerce si on peut commander une paire de bas via Internet? Et celle-ci va nous être livrée sur le pas de notre porte dans une boîte surdimensionnée sur laquelle on trouve un joli logo souriant. Y a-t-il quelque chose de plus progressiste que cette manière de magasiner?

Avec le confinement, plusieurs fabricants et manufacturiers ont multiplié leurs ventes en ligne. Fort bien. Mais si je peux me faire livrer un fromage à la maison, quel intérêt y a-t-il d’aller en chercher chez mon épicier? Aucun. Je vais donc faire mon épicerie en ligne. Je la ferai probablement sur le site d’une grande chaine d’alimentation. Direct de l’entrepôt à mon garde-manger. Tant pis pour mon épicier de quartier. Un germe de distanciation commerciale pousse tranquillement.

Commerce ou livraison de proximité

Il existe peu d’études qui portent sur les impacts environnementaux et énergétiques de la livraison de colis à domicile. J’en ai consulté quelques-unes, mais n’y ai trouvé rien de bien concluant, et elles réfèrent toutes à des cas aux États-Unis. La livraison à domicile favoriserait, selon ces études, une utilisation plus rationnelle de l’énergie que le magasinage au Carrefour Laval ou au Dix-Trente.

Certains chercheurs avancent qu’un énorme centre de distribution bien géolocalisé sera plus efficace que la multiplication de petites boutiques sur une rue commerçante dans une ville ou un village. Moins de mètres carrés à chauffer ou à climatiser, meilleure utilisation de l’espace, moins de déplacements individuels, etc.

D’autres suggèrent que la disposition de centres de cueillette à des endroits clés dans les villes réduit les déplacements. Mais ces centres ajoutent une étape supplémentaire dans le voyage d’un colis vers sa destination : transiter via un bâtiment qui devra être climatisé et chauffé. La contribution de ces points de cueillette à la réduction de la consommation globale d’énergie n’est pas encore prouvée.

Magasiner à l’huile de bras

À Montréal, dans l’ancien McDonald de l’avenue du Mont-Royal, coin Papineau, on a installé un tel point de cueillette. Le problème, c’est qu’il y a des travaux qui n’en finissent plus de finir sur Papineau. La piétonisation de l’avenue Mont-Royal n’a pas aidé non plus. Pendant plusieurs mois, il était assez difficile d’aller y ramasser un colis. Pas plus simple d’ailleurs d’avoir accès au comptoir postal situé à l’intérieur de la pharmacie Jean-Coutu au coin de Lanaudière.

C’est sûr que si on va chercher une enveloppe, ça se fait à pied ou à vélo. Mais si le colis est plus gros, et surtout plus pesant, c’est déjà plus compliqué. Soudainement, l’idée du point de cueillette perd de son attrait. Mais qu’à cela ne tienne.

Quelqu’un a eu l’idée – saugrenue diront certains – de mettre des brouettes à la disposition des gens qui magasinent sur l’avenue du Mont-Royal. Bien sûr, il fallait d’abord trouver un stationnement quelque part sur une rue avoisinante. Ensuite, dénicher une brouette et aller récupérer son colis en espérant que personne n’aura emprunté votre brouette pendant ce temps. Enfin, marcher avec votre brouette jusqu’à votre voiture et ramener ladite brouette sur l’avenue du Mont-Royal. Comment se fait-il que personne n’ait pensé à ça avant? En matière d’utilisation rationnelle de l’énergie, très difficile à battre.

De l’énergie en boîte

Dans certaines études consultées, d’autres analystes tiennent compte de la dépense énergétique pour la fabrication des emballages. Cette dépense s’ajoute à l’énergie requise pour la livraison initiale, mais aussi pour le retour de marchandises. Toutes les raisons sont bonnes à ce chapitre : la chemise est trop petite, la robe est trop grande, le tissu est trop laid. En somme, trop de tout ce que vous imaginez.

Combien de fois une paire de bobette peut-elle faire un aller-retour entre un entrepôt et une résidence? Une fois! Dans la plupart des cas, juste de manipuler un retour de marchandise et la remettre dans l’inventaire coûte trop cher. Bien souvent, les objets seront jetés aux ordures ou détruits.

Par ailleurs, on ne commande pas en ligne comme on magasine chez Bureau en Gros. Si je vais sur place, je peux repartir avec mes cartables, mes recharges d’encre pour l’imprimante, mes crayons et une lampe de bureau. Un déplacement unique.

Si je commande en ligne, il est probable que la commande arrive en deux ou plusieurs livraisons. Mes cartables peuvent arriver le mardi matin. Mes recharges d’encre via un autre transporteur le mercredi. Peut-être avec les crayons, peut-être pas. Et la lampe, mardi après-midi via un autre véhicule de livraison.

De plus en plus vite svp!

Les acheteurs en ligne sont exigeants. Ils veulent recevoir leurs bidules le plus rapidement possible. C’est hyper-important pour préserver l’équilibre émotionnel des personnes. Ces petites livraisons à domiciles sont souvent les seuls liens qui les rattachent à la société.

Un des effets pervers de la rapidité de livraison, c’est l’usage accru du transport aérien. On va chercher les bébelles là où elles se trouvent, une à la fois, au compte-goutte. Comme ça va vite, personne ne prend le temps d’optimiser les routes de transport et de livraison. Si on peut vous livrer quelque chose en deux jours au lieu de cinq, et que vous êtes prêt à payer, ainsi soit-il. Mais cette rapidité va à l’encontre même du principe de l’utilisation rationnelle de l’énergie.

Par ailleurs, si vous habitez hors d’un grand centre urbain – Saint-Hippolyte par exemple – on peut penser que le magasinage en ligne sera moins dommageable en ce qui concerne l’empreinte environnementale. Par contre, la voiture individuelle est essentielle pour se rendre chez l’épicier, chez la pharmacienne ou chez le quincailler. Pour le libraire, il n’y en a pas. Il faut aller à St-Jérôme.

Dans un centre urbain comme Montréal, il est possible dans plusieurs quartiers de visiter tous ces commerces à pied en 30 minutes à peine.

À Montréal, les émissions de CO2 émises par le dernier roman de David Goudreault que vous lirez seront sans doute plus élevées pour une livraison à domicile que si vous marchiez jusqu’à votre libraire préféré. Ce sera probablement le contraire à Saint-Hippolyte. L’impact énergétique du commerce dépend donc de l’endroit où vous vivez.1

Difficile d’établir des politiques publiques nationales devant une telle dichotomie. Notre quête vers une utilisation rationnelle de l’énergie va donc se poursuivre encore longtemps.

Notes

  1. https://ctl.mit.edu/sites/default/files/library/public/Dimitri-Weideli-Environmental-Analysis-of-US-Online-Shopping_0.pdf

2 commentaires

  1. Très interressant Denis. Les choix du Plateau et de St-Hipolyte ne sont pas le fruit du hasard… 😉

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