Non, non, je ne parle pas ici de l’annonce d’Andrew Scheer, qui souhaite soustraire les factures d’électricité de la TPS. Inutile de spéculer sur les promesses électorales.
Je fais plutôt référence à une nouvelle du mois de juin dernier. Comme cadeau pour les vacances, le gouvernement du Québec a annoncé son intention de limiter les hausses des tarifs d’électricité à l’inflation. C’est le genre de nouvelle attendue à quelques mois d’une élection, pas dans la première année d’un mandat. Mais bon, il faut croire que les temps changent.
Or, le gel tarifaire annoncé en juin dépend de l’adoption du projet de loi 34, Loi visant à simplifier le processus d’établissement des tarifs de distribution d’électricité. Ce projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale le 12 juin. Il fera maintenant l’objet de consultations par la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’Énergie et des ressources naturelles à compter du 17 septembre.
La charrue devant les boeufs
Depuis une vingtaine d’années, Hydro-Québec soumet à la Régie de l’énergie une demande relative à l’établissement des tarifs pour l’année tarifaire débutant le 1er avril de l’année suivante. Cette année, dans un communiqué émis le 2 août, Hydro-Québec affirme qu’elle « souhaite que les tarifs d’électricité en vigueur actuellement soient maintenus pour une année supplémentaire […] conformément au projet de loi 34 […] ». Hydro-Québec ajoute « qu’Hydro-Québec Distribution ne déposera pas de demande d’ajustement tarifaire auprès de la Régie de l’énergie cette année. »
Comme plusieurs, j’ai été surpris de lire qu’Hydro-Québec « souhaite » le maintien des tarifs pour une autre année. Je croyais que le gel des tarifs était la volonté du gouvernement du Québec. Remarquez qu’il est normal qu’Hydro-Québec fasse siens les désirs du gouvernement, ce dernier étant son unique actionnaire. Difficile de le contredire.
Tout comme le gouvernement et Hydro-Québec, nous souhaitons tous un gel des tarifs. Par contre, d’autres jugent que ce souhait manque d’ambition et militent carrément pour une baisse des tarifs.
Dégeler le gel des tarifs
Évidemment, considérant un gouvernement majoritaire, l’adoption du projet de loi 34 fait peu de doutes. Mais, en ce moment, le projet de loi n’est que ce qu’il est : un projet. Dans ce contexte, le 4 septembre dernier, trois associations ont décidé de mettre un peu de sable dans l’engrenage du gel tarifaire. Il s’agit de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIE), de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et d’Options consommateurs (OC).
Ainsi, ces associations ont déposé devant la Régie de l’énergie une Demande relative à l’établissement des tarifs d’électricité de l’année tarifaire du Distributeur 2020-2021. D’ici à ce que le projet de loi 34 soit adopté – ou non, on ne sait jamais – les trois intervenants souhaitent dégeler le gel tarifaire. Ce que le groupe soutient, c’est que le cadre législatif en vigueur prévoit que les tarifs doivent être fixés par la Régie de l’énergie. En conséquence, il est dans l’intérêt public que la Régie puisse rendre une décision qui soit pleinement éclairée. Évidemment, la lumière nécessaire passe par la tenue d’une audience en bonne et due forme.
Les intervenants pensent, en s’appuyant sur des analyses, que le gel tarifaire amènerait Hydro-Québec à encaisser trop de revenus. Selon eux, le gel permettrait à Hydro-Québec de « […] percevoir de l’ensemble de sa clientèle des sommes pouvant excéder de plus de 623 millions de dollars celles auxquelles il serait en droit de s’attendre par l’application du régime réglementaire présentement en vigueur […]. »1
En conséquence, ces intervenants jugent que le gel annoncé des tarifs produira encore des trop-perçus. Selon leurs analyses, les consommateurs seraient en droit de recevoir une réduction globale des tarifs de 4,91%. Hmm. Intéressant. Position qui mérite certainement une discussion.
Ah bon, on peut faire ça?
Tout à fait. Si une demande d’établissement des tarifs n’est pas déposée par Hydro-Québec, une partie intéressée peut le faire. C’est prévu dans la Loi sur la Régie de l’énergie, à l’article 48 plus précisément. Cet article prévoit que sur demande d’une partie intéressée, la Régie modifie les tarifs de même que les conditions liées au transport ou à la distribution de l’électricité. Pour rendre une décision éclairée, la Régie peut demander au transporteur ou au distributeur d’électricité de lui soumettre une proposition de modification tarifaire.2
Et c’est arrivé en 2012. Hydro-Québec avait informé la Régie de l’énergie de son intention de ne pas déposer de demande de modification des tarifs de transport d’électricité pour l’année 2013. Pour l’essentiel, Hydro-Québec demandait un gel du tarif correspondant à celui de 2012.
En invoquant l’article 48, deux associations ont déposé une demande de modification des tarifs de transport pour l’année 2013. La demande venait de l’AQCIE et du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ). Ces deux organismes souhaitaient qu’Hydro-Québec dépose une demande de modification des tarifs en bonne et due forme.
Par cette intervention inusitée, les intervenants ont ni plus ni moins poussé la Régie à contraindre Hydro-Québec à déposer une demande tarifaire. Il s’en est suivi des audiences qui ont donné lieu aux débats habituels. La Régie a finalement rendu une décision éclairée dans l’intérêt public. Résultat : baisse des tarifs de transport de 2,32% pour l’année 2013. Tiens-donc. Un précédent intéressant.
Incertitude tarifaire
Il sera intéressant de voir comment la Régie de l’énergie va réagir à la demande de l’AQCIE-FCEI-OC. Deux petites semaines séparent le dépôt de cette demande et le début de la commission parlementaire sur le projet de loi 34. Certains diront que c’est peu et que la Régie pourrait décider d’attendre la suite des événements. Peut-être. Mais la procrastination ne semble pas faire partie des pratiques de la Régie.
Gardons à l’esprit qu’un des rôles de la Régie de l’énergie, c’est de servir l’intérêt public. Elle n’a pas pour mandat de spéculer sur l’aboutissement (ou non) de l’agenda législatif gouvernemental. Elle doit agir selon son bon jugement dans le cadre législatif actuel. Et elle doit le faire dans des délais raisonnables, sans se laisser bousculer.
On se rappellera que c’est exactement ce qu’elle a fait pour l’analyse du plan directeur de Transition énergétique Québec l’an dernier. Plusieurs pensaient que la cause serait entendue de manière expéditive dans un délai de trois mois à compter du 12 juin 2018. Or, la Régie a fait son travail de manière indépendante et dans l’intérêt public. Avec les résultats intéressants que l’on connaît.
Certains diront que l’on déploie beaucoup d’efforts pour quelques points de pourcentage de diminution hypothétique des tarifs d’électricité. Peut-être que oui, peut-être que non. En bout de ligne, ce qui compte, ce sont les résultats.
Et rappelons-nous également que le rôle d’un tribunal administratif est d’apporter de la transparence dans un processus réglementaire. Cette fonction a un prix. Tout comme le manque de transparence.
On a créé la Régie de l’énergie, on devrait peut-être l’écouter.
Notes
- Régie de l’énergie. R-4100-2019. Demande relative à l’établissement des tarifs d’électricité de l’année tarifaire 2020-2021, pp. 2-3.
- Loi sur la Régie de l’énergie